Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 28 décembre 2010

Bu par ciel de neige

Crozes-hermitage 07 de Paul Jaboulet Aîné, merveilleux vin élégant et facile, malgré son jeune âge (mais dans un beau millésime), tanins soyeux, joli fruit, l’élevage encore un peu présent, mais on voit bien que le talent de Denis Dubourdieu (Dédé-la-science) est passé par là, c’est très bon.
Cru Monplaisir 09 du château des Eyrins (maintenant chez les jeunes Gonet-Médeville), nécessite d’être aéré longuement en raison de son très jeune âge, mais très belle bouteille, le roi des bordeaux à 10 euros.
Bahans-haut-brion 01, la modernité bordelaise dans son accomplissement. Finesse et structure, grande fraîcheur, les beaux bordeaux, on les aime pour ça.
Clos-des-fées, grenache blanc, vieilles vignes 09. Un joli blanc, son goût de sud avec une fraîcheur de plus, sans les embrouilles gustatives qu’on rencontre parfois dans les vins de ces pays-là. Un instant de belle tenue, la parenthèse enchantée, les grandes filles adorent. Ne pas boire trop frais, on rate des trucs. J’en ai d’autres, je leur ai voté cinq ans de repos à fond de cave, pour voir comment ça se passe. Bon, y en a bien une ou deux qui passeront d’ici là.
Cor-römigberg, 2000, Alois Lageder. Un cabernet-sauvignon italien du nord, du Haut-Adige aussi connu comme le Sud-Tyrol. La belle trame qui tient un grand fruit, le vin tout neuf malgré ses dix ans, un joli toasté, la bouche ample et bien tapissée, avait vingt ans devant lui. Même mâtiné austro-hongrois, l'Italien est fort, quel talent.
Orpale, cuvée prestige de Saint-Gall, blanc de blancs, magnum. Très bien, sans grande surprise, pur et frais, bon. Totalement écrabouillé par le champagne qui l’a immédiatement suivi, mais plus personne n’avait soif et nous sommes restés à deux (en fait, trois avec un Henriot 96 en magnum aussi) confirmant ainsi que le magnum est un format idéal pour deux amateurs. Oui, un soir de messe de minuit, maison désertée, le calme revenu, idéal pour un tête-à-tête de méditation dégustatrice, je l’avoue avec gourmandise, nous avons sifflé à deux un magnum d’un champagne merveilleux qui a fait dire à mon complice qu’il n’avait jusque là jamais bu de champagne, qu’il venait de comprendre ce que je lui dis depuis des lustres sur le champagne, ses qualités au vieillissement. Il faut bien dire que cet Henriot 96 était d’une sorte de perfection aromatique et de complexité très au-delà de ce qui se pratique d’ordinaire. Et nous nous sommes vautrés avec volupté dans l’abricot et le miel. Un peu seuls, bien sûr, mais ce n’est pas à des grandes filles glacées par une messe de minuit servie à 5°C en un peu plus de deux heures qu’on peut expliquer des choses pareilles (volupté, abricot, miel). Ce sont deux autres magnums qui prirent huîtres et coquilles saint-jacques par la main. Un chassagne-montrachet et un meursault de François d’Allaines dont je n’ai pas retenu les millésimes, mais pas jeunes-jeunes. On s’est tous un peu foutu sur la gueule à propos des mérites comparés de l’un et de l’autre, un vrai dîner de Noël en famille.
Le lendemain, retour maison et une bouteille de Pure, le non-dosé de Pol Roger. Parfaitement à sa place, fraîcheur réparatrice idéale avant de remettre le couvert le soir même.
Voile pudique sur deux magnums terriblement ennuyeux, champagne et pomerol. Vite autre chose. Château Calissanne, Clos Victoire, 2004. La cuvée de prestige de Calissanne. Ou comment apporter une énième preuve que l’assemblage syrah – cabernet sauvignon est une très bonne idée, ça marche très bien. Toutes les qualités des deux cépages, beau vin de grande structure, matière très présente, le bonheur avec une belle viande. Une table en joie, quoi de mieux ?
Laurent-Perrier, Brut L-P, l’entrée de gamme de la maison, sur des huîtres et des saucisses, des brebis du Causse Méjean (allez hop, wikipedia), quelques feuilles de salade artistement assaisonnées pour faire glisser et voilà un déjeuner de roi (et de Charentais) et léger avec ça, se souvenir qu’il y a de très belles maisons qui font des BSA parfaits, démonstration éclatante et modèle pour le monde : Taittinger, Pol Roger, Charles Heidsieck (prions pour Charles), Philipponnat. Ecrire sur son ventre avec un gros feutre que le champagne est un truc simple qui s’articule très bien avec une gastronomie basique et abordable, pourvu que les produits soient de bonne qualité, bien sûr. Ne jamais l’oublier au moment d’acheter du caviar, du saumon fumé et toutes ces choses.
Il y a une suite à venir, c’est sans fin, ces bonheurs-là.

mercredi 22 décembre 2010

L’Ami Louis n’a pas survécu


L’an dernier, Thierry de La Brosse a disparu, victime d’un cancer foudroyant. Ce bon vivant extrêmement sympathique laissait derrière lui, entre autres, un restaurant parisien mythique et un cru qui n’a pas eu le temps de le devenir, rebaptisé Château Louis. Il avait acheté l’Ami Louis il y a plus de vingt ans et avait eu l’intelligence de n’y rien changer et de nommer directeur l’un des serveurs au motif, sans doute, qu’il s’appelle Louis et que la confusion servirait la gloire de l’établissement, c’était bien joué et le monde entier, Américains en tête, se pressait dans la petite salle si parisienne, tellement historique. Il fallait des jours pour avoir une table à déjeuner comme à dîner. De Bruce Willis à François Pinault, de Jacques Chirac à Bill Clinton, la clientèle avait de quoi faire rêver tous les patrons de restaurants bien plus huppés, bien plus fashion, bien plus déco. Ce pied de nez, supporté par une cave de rêve, une gastronomie des plus basiques et des additions délirantes, permettait à l’affaire d’être florissante. C’était ze place to be, comme disent encore les jeunes filles modernes et autres poux de cette tribu.
Mais voilà.
L’autre jour, pour honorer une jeune fille longue et émouvante, j’ai appelé l'Ami Louis pour avoir une table le lendemain. Je n’y croyais pas du tout, je l’ai eue. Nous avons déjeuné seuls dans le restaurant avec notre bahans-haut-brion 2001, perfection à un milliard d’euros. Tous les deux, sans que quiconque ne pousse la porte pendant deux heures d’horloge. Du jamais vu. De même, le téléphone était bien discret. Pour faire bonne mesure, l'après-midi en digestion cahotique, nous avons été l’un et l’autre malades, comme si nous sortions d’une infâme gargotte, une horreur. Il faut croire que c’était le cas. La longue jeune fille était furieuse. C’est idiot, il ne faut jamais faire du mal à une longue jeune fille, émouvante surtout. Et c'est dommage. Thierry, reviens.

La photo a été prise par mon invitée vers 13:30 ce jour-là, à l'Ami Louis

mardi 21 décembre 2010

La blouse d’Agathe


C’était la dernière heure du Grand Tasting, Agathe Bursin et sa maman couraient les allées à la recherche d’un responsable. « On déborde », le trouble était de taille. Locataires d’un stand partagé avec un autre vigneron, elles regrettaient que la foule des amateurs de ses vins empiètât sur le demi-stand du voisin. Le responsable éclata de rire, le rire libérateur qui salue le succès, mais ni Agathe ni sa maman ne trouvaient ça drôle. Elles étaient embarrassées pour de vrai.
« Nous ne pourrons plus revenir », concluaient-elles d’une même voix désolée. Elles s’imaginaient déjà au ban du Grand T et du mondovino tout entier, fautives qu’elles étaient, leur réussite faisait du tort au voisin.
La blonde Agathe Bursin a pu ainsi vérifier qu’elle est une vedette. Elle n’y croit pas du tout. Cette jeune fille, installée dans la maison familiale du petit bourg de Westhalten en Alsace, a commencé à écrire son conte de fées en 2000, sur 2,7 hectares de jolis coteaux, l’un des endroits les plus secs de France, d’où la végétation un peu méditerranéenne. Elle avait 24 ans, un diplôme d’œnologie et une ascendance porteuse, « mon grand-père m’a tout appris ». Première récolte, les bonnes notes de Parker, un importateur américain débarque un dimanche matin, « j’étais en pyjama », et achète les 2000 bouteilles qui constituaient l’entier de la production, « je n’avais même pas d’étiquette ». Agathe, en blouse blanche, s’amuse des drôleries de l’existence : « J’ai toujours été anti-Coca, anti-McDo, anti-Monsanto et voilà que c’est l’Amérique qui me fait confiance en premier ». Dans la foulée, c’est Michel Bettane qui en fait une icône du Grand guide des vins de France, un splendide 17,5 sur 20 pour son vendanges-tardives, Agathe Bursin et ses yeux bleus sont lancés.
Mais elle continue à faire tout, toute seule sur ses quatre hectares, « Si je passe à cinq hectares, il me faudra quelqu’un ». En attendant cet avenir qu’on ne sent pas au programme, elle décrit sa vision de dentellière. Pas moins de 28 parcelles sur ses quatre hectares, soit 28 cuves au chai pour des vinifications dédiées (ceux qui ne sont pas au fait de ces complications techniques doivent comprendre qu’il s’agit d’une parcellarisation extrême). Et 15 cuvées différentes pour 25 000 bouteilles en tout. On se croirait en Bourgogne, on est bien en Alsace. Elle pousse le bouchon de l’exigence très loin, « en dix ans, je n’ai fait que deux cuvées Sélections de grains nobles. 2006 et 2009. » Plus tard, elle parlera du goût protestant du riesling, « plus droit » que le gewurztraminer, cépage des villages catholiques, mais « maintenant, tout le monde a tout » ajoute-t-elle avec un bon sourire avant de préciser « Je n’aime pas le côté racoleur des gewurz, je les vinifie dans la retenue ». Bon, mais cette parpaillotte – donc – aime bien la vie quand même, et ses plaisirs, « Agnès b. vend mon vin dans sa boutique de Hong Kong, parce qu’on a les mêmes initiales ». Comme quoi.

La photo : Agathe Bursin sous le portrait de son arrière-grand-mère, photographiée par Mathieu Garçon en juillet 2010

vendredi 17 décembre 2010

Au mépris du dom-pérignon


Déjà, le grand public a du mal avec les vins chers. Il ne sait pas très bien si c’est normal, se demande si on se moque de lui, oublie le coût du travail, tout ça.
Un vin cher, c’est un vin que je n’ai pas envie d’acheter à cause de son prix, mais qui, quelque part, tout au fond, me fait vachement envie. C’est un vin qui rejoint les fantasmes les plus désirables au Panthéon des rêves inassouvis. Ma cave et moi, les soirs de lune noire, on se dit qu’il nous manque ci et ça pour être vraiment complets. Qu’une douzaine de Schmurtz 2000 en magnum et trois cartons de château-grobonne 2005 feraient joli dans le tableau. Que c’est pas parce qu’on a une vingtaine de dom-pérignon sur trois ou quatre millésimes qu’il en faudrait pas douze de plus. Dom-p, c’est quand même l’excellence (aaah, le 2002), même à 154 milliards de bouteilles par jour, et à cause de ça, pour commencer. Enfin, c’est l’idée qu’on s’en fait, le plus souvent, et on est bien avec.
Et voilà que 1855*, le site ami des vignerons, des amateurs et de la RVF, vous propose le dom-pérignon en cadeau-bonux. Pour 999, 99 euros de commande, une quille de dom-p gratos. Voilà une opération de promotion de bon niveau, l’élégance qui affole les poils des bras, on sent le marketing tellement pointu qu’il vaut mieux ne pas s’asseoir dessus. Il faudrait, pourtant. Rappelons que si la maison Moët-Dom P n'y est pour rien, j’en connais deux, trois qui doivent être vert, du côté du gros groupe. En même temps, ils n’étaient pas obligés de leur vendre des bouteilles, non plus. Dans le marketing, justement, on appelle ça la distribution sélective. Les grands groupes devraient créer un poste de Directeur du bon sens, il pourrait rappeler à tout le monde que la sélection ne se fait pas uniquement sur les performances commerciales de tel ou tel, il dirait aussi qu’un peu de rigueur ne nuit pas à l’image des marques. La première fois, ça fait un peu mal, mais après t'adores.

*1855 est un site internet de vente à distance qui a provoqué quelques aigreurs ici ou là. C’est pourtant très injuste. Ces gens ont enfin inventé un système génial pour obliger leurs clients à ne pas boire leurs primeurs trop rapidement : ils ne livrent pas ou alors avec quelques années de retard. Un service public ou quasi. Moi, j’ai un collègue de bureau qui reçoit ses 2007 par petits paquets depuis quelques jours. Pour l’instant, il a récupéré une petite part de sa grosse commande. Il avait reçu ses 2005, fin 2009. Mais il n’était pas obligé de commander, non plus. Ou alors avec des petits pois. C'est très bon, le pigeon aux petits pois.

mercredi 15 décembre 2010

Sauternes, barsacs, bonheurs et pub


Les gens qui font le sauternes et le barsac avec les difficultés qu’on sait se sont rassemblés pour produire une petite plaquette qui dit intelligemment les choses sur ces vins sublimes de plus en plus négligés par les amateurs français. En italique, mes commentaires.

1. Ils sont délicieux
D'incroyables senteurs de fleurs, de fruits et d’épices relevées par de subtiles notes d'agrumes, un corps enveloppant et riche qui sait s'associer à une parfaite fraîcheur en bouche, une persistance aromatique savoureuse : aucun autre vin ne déploie un tel éventail de sensations gourmandes...

2. Ils sont rares et précieux
A l'automne, le soleil et les brumes concentrent le fruit, les vendanges deviennent travail d'orfèvre, les raisins sont cueillis grain par grain. La concentration naturelle et les sélections sévères entraînent des rendements minuscules. Un pied de vigne ne donne que quelques verres d'un vin hors norme.

3. Ils sont équilibrés
Le subtil équilibre entre douceur et vivacité est une des signatures des grands vins de Sauternes et Barsac. Leur sucre naturel est contrebalancé par une acidité bienvenue, c’est toujours l’impression de fraîcheur qui l’emporte.
C’est nouveau. Depuis cinq ou six millésimes, les sauternes & barsacs ont beaucoup gagné en fraîcheur. C’est surtout sensible sur la finale, plus légère et qui exprime parfois de délicates notes mentholées.

4. Ils sont d’une extravagante complexité
Orange, abricot, menthe, pamplemousse, ananas, fruits de la passion, fleurs d'acacia, muscade, safran... les fruits, les fleurs et les épices se répondent pour attiser les sensations.
Et cette complexité s’amplifie avec l’âge dans des symphonies aromatiques parfaitement rares.

5. Ils sont contemporains
Généreux, équilibrés et séducteurs, ces vins appellent les mariages et les métissages. Ils sont à l'aise avec le foie gras, le poulet rôti, les fromages bleus et exaltent les saveurs tendues des plats épicés des cuisines orientales.
J’ajoute avec gourmandise les huîtres, surtout chaudes, mais aussi dans l’explosion iodée de l’huître qui sort de l’eau. Et la truffe blanche. J’arrête parce que, là, ça me donne faim.

6. Ils sont éternels
Avec le temps, ces vins subliment la maturité. Ils évoluent, changent la grammaire des arômes et proposent des saveurs qui mêlent l'élégance et la complexité. Ils ont le bel avantage d’être exquis à tous les âges.
Nouveau aussi. Les millésimes récents les moins somptueux (2002, 2004, 2006) ont montré des sauternes et des barsacs très bons jeunes. Et c'est vrai que les 2001 (millésime immense) se goûtent très bien ces temps-ci, si j'en juge par un guiraud explosif goûté ces jours derniers. Cela dit, rien ne remplace un grand liquoreux dans un grand millésime avec vingt, trente ou cinquante d'âge. Souvenir pour la vie de vieux millésimes de rayne-vigneau très émouvants.

7. Ils sont uniques
Chaque bouteille est le fruit d’un terroir, d’un millésime et d’un vigneron qui apporte sa technique, son intuition, sa part de création. Les vins de Sauternes et Barsac ont chacun leur personnalité, ils affichent toujours une dimension artistique.
Il y a beaucoup de liquoreux qui valent le détour (Alsace, Touraine, Jurançon, Hongrie, …), tous ont des qualités qui leur sont propres, des densités de liqueur spécifiques, des développements aromatiques signés. Les sauternes & barsacs ont leurs caractéristiques plutôt exclusives, ce qui explique à quel point les amateurs de vin les aiment.

8. Ils sont vigoureux
Précieux ne veut pas dire fragile, les vins de Sauternes et Barsac sont des vins solides peu sensibles à l’oxydation. Une bouteille ouverte se conservera aisément quelques jours au frais.
J’ai fait l’expérience un certain nombre de fois et jusqu’à quinze jours dans la porte du frigo, c’est splendide.

9. Ils sont raisonnables
Flamboyants dans leurs arômes et leur expression, ils sont sages dans leur prix au regard de leur minuscule production et de la complexité de leur élaboration, et pourtant….
C’est juste les moins chers des grands vins français, comme tous les liquoreux d’ailleurs.

10. Ils sont classés en 1855
Le plus célèbre des palmarès viticoles, le fameux classement de 1855, n’a pas pris une ride. Vingt-six crus de Sauternes et Barsac font partie de ce club très fermé, vous les découvrirez au fil des mois.

Voilà. Je publie ce texte pour dire mon goût pour ces grands vins. C'est de la pub ? Non, mais si ça fait pareil, si ça donne envie à quelqu'un de faire ou de refaire un tour du côté de ces vins d'or, tant mieux.

mardi 14 décembre 2010

Le carnet de bal d'Anne-Charlotte

On attend toujours la publication du carnet de bal d’Anne-Charlotte Amory, présidente des champagnes Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck. Quels sont les prétendants retenus pour acquérir cette belle maison de Champagne ? Avec qui va-t-elle faire un tour de valse ? Qui de messieurs Thiénot, Vranken, Navarre, Frey, Pierre et autres sémillants jeunes gens saura la séduire ? Le Grand Tasting tout entier ne pensait pas qu’à ça, mais presque. La rumeur (170cm, 70 kg) dément avec la dernière vigueur l’intérêt de celui dont nous faisions notre favori (J.-J. Frey). Chez Thiénot, même chose. Ce genre de pronostic, c’est un peu comme au loto, on perd à tous les coups. D’autres disent que P.-F. Vranken aurait tout intérêt à acquérir les deux marques qui, avec Heidsieck Monopole déjà en sa possession, ferait un beau package, très vendable. Au Grand Tasting, d’autres, sur le ton « je dis ça, je dis rien », prétendaient que le « gagnant est dans la salle ». Ah ! Glorieuse incertitude. En même temps, on serait à la limite de l’anecdotique s’il ne s’agissait de l’avenir de Charles Heidsieck, champagne magnifique auquel nous tenons tous beaucoup. Il paraît que des infos doivent être lâchées dans la semaine. On est déjà mardi… Dépêchons-nous.

lundi 13 décembre 2010

Richard Geoffroy, le chef de la bande des chefs de caves


Brosser un portrait de l’estimé auteur des dom-pérignon n’est pas simple. Comme toutes les sorcières, Richard Geoffroy est assez pluriel, changeant, doué d’ubiquité, largement aussi complexe qu’un dom-pérignon d’un vieux et beau (sont deux mots qui vont très bien ensemble) millésime. Le problème avec Richard Geoffroy s’énonce ainsi : comment fait-il pour produire une telle quantité d’un si grand champagne ? Naturellement, il ne répondra pas à cette question, il se joue de l’obstacle et part dans des digressions suffisamment passionnantes pour faire oublier la ligne de départ, des pays bleus roses « où jamais il ne pleut » et où les considérations économiques n’existent pas, c’est plus pratique. C’est la règle dans le gros groupe (Moët-Hennessy pour ceux qui sortent de vingt ans d’isolement), pas de chiffres, le champagne est une fête, un rêve, pas un produit, inutile d’affoler le monde. Pourtant, c'est bien ce qui rend le personnage intéressant, c'est bien ce paradoxe fou qui fait vibrer tout le monde (le monde du vin, parce que le public n'y voit goutte).
Le gaillard a 56 ans. Né en Champagne, il est le champagne, son ambassadeur mondial, une marque à lui tout seul, l’icône des cuves.
Morceaux choisis pour lire vite.
Roots. « Quand tu viens de la terre, tu lui appartiens. » « Je suis fils de vigneron et j’ai une relation organique avec la vigne, voilà mes racines. »
Ses vins. « Je n’ai rien changé, juste cherché à aller plus loin dans le projet Dom Pérignon. Creuser le sillon, tendre vers un absolu, c’est une quête pour toujours. »
« La trace d’un esprit, c’est de laisser respirer le millésime, laisser s’installer un dialogue entre le style de la maison et les caractéristiques de l’année. Conjuguer l’un et l’autre de la manière la plus saillante. » « La technique n’est pas dans la tradition Dom Pérignon ; le progrès, oui. »
Moi, manager. « Mon passé de médecin m’a appris à exprimer ce que je veux d’une façon compréhensible par mon équipe. » « L’excellence est dans le management. Emmener chacun à son meilleur niveau. C’est ce qui m’occupe le plus, ou pas loin. »
Une vista. « La continuité n’existe pas. L’esprit est plus important que la reproduction ». « Il faut que la Champagne se détende. Il y a des vignerons qui bougent les lignes. La Champagne est en mouvement, le travail d’excellence avance partout. »
Demain. « Sur les millésimes de la décennie 2000, attendez-vous à des surprises. Il y a moyen d’étonner en étant soi-même, sans se perdre. »
Il faut bien écouter ce que dit Richard Geoffroy et surtout ce qu’il ne dit pas, et que ces mains en mouvement perpétuel ne trahissent pas. On l’aura compris, ce grand homme du champagne est un drôle de zigoto qu’on a vite fait d’aimer. Mais pas autant que ses dom-pérignon, faut pas exagérer.

Les photos : Richard Geoffroy, photographié par Mathieu Garçon en novembre 2010.
Ce sujet est paru, à quelques modifications près, dans Le Monde Magazine du 10 décembre, daté 11.

mercredi 8 décembre 2010

Le Grand Tasting et rien d'autre




Le Grand Tasting, c'est le salon des grands vins imaginé par Michel Bettane et Thierry Desseauve, il y a déjà cinq ans. C'est la manifestation la plus agréable du genre, l'endroit est magnifique, en plein centre de Paris, luxueusement agencé et aussi confortable pour le public que pour les exposants. Et ce sont chaque année des milliers de personnes qui se succèdent
dans les allées, goûtant ici, bavardant là, dans une atmosphère calme et détendue.
Le Grand T millésimé 2010 commence vendredi matin à 10 h 30, pour deux jours.
Ce ne sont pas moins de 350 grands producteurs qui vont présenter
2 350 vins différents. Mais le plus important, c'est que chacun des vins présentés est un vin
jugé bon par le comité de dégustation qui a la responsabilité de l'édition du Grand guide des vins de France - Bettane & Desseauve. En effet, seuls les producteurs retenus dans ce Grand guide ont le droit de faire déguster leurs vins au Grand Tasting, et pas le contraire comme le prétendent encore quelques esprits chagrins et de mauvaise foi.
En cliquant dans chacune des trois images, vous faites apparaître le programme complet et le contenu des master-class, des ateliers-gourmets et de l'école des terroirs. Regardez, c'est immense. Vendredi 10 et samedi 11, vous savez où aller et vous n'avez pas trop de deux jours pour épuiser les plaisirs du Grand T.

samedi 4 décembre 2010

Du talent et autres fatigues


« Ce qui est tragique, c’est qu’il faut toujours donner des preuves de son talent à des gens qui n’en ont aucun. » Trouvé ce mot d’Antonioni (le réalisateur, ah, Italia bella, comme tu nous manques, il faut l'Italie l'hiver aussi) en exergue du chapître Quatorze automnes et quinze étés dans le magique bouquin de Jules Gassot, surtout connu comme fils de l’excellent Charles du même nom, mais ça va changer, même le ELLE en parle, ce qui est normal puisque le jeune homme est joli garçon. Le livre s’appelle Manuel de savoir-vivre à l’usage des jeunes filles* et j’en recommande vivement la lecture. Aux jeunes gens, évidemment. Les jeunes filles savent déjà tout.
Revenons à nos moutons. Le mot du maestro m’a remis en tête une scène vue à l’occasion d’une pauvre réunion du Wine Business Club dont je n'avais pas du tout l'intention de parler. Dans ces machins-là, une conférence, une dégust, un dîner. La conf' avait un beau sujet et moi, le pigeon, j’y ait été pour ça. Les Français peuvent-ils encore s’offrir le luxe qu’ils produisent ? Bonne question, c'est du lourd, non ? Les quatre intervenants dont je tairai le nom par charité n’ont pas donné la réponse. Dommage. Deux représentants d’une inter-pro, une modeuse de petite notoriété et un directeur d’hôtel. On étouffe deux ou trois bâillements, on gèle dans le palace, on se tortille sur sa chaise droite, ils vous servent le rien en une heure quand même. Et place à la dégust. Un champagne de grande diffusion, un cognac de la même eau, un bordeaux sup de très belle qualité, si, si, et deux vins du Rhône, magnifiques, avec le producteur derrière la table qui sert les verres à un public qui fait semblant. C’était le très talentueux Yves Cuilleron, bien peu à sa place en pareille assemblée. Il fait partie de la bande des surdoués qui agitent le septentrion du grand fleuve avec ses potes – et parfois associés – Villard, Gaillard, Villa et consorts, ceux de chez Ferraton, d’autres, cette génération. Que du bon, l’honneur de la viticulture française. Et moi, ce soir-là, j’avais mal pour lui, sa sincérité, ses beaux vins authentiques pas compris par un public qui s’en fout ou, pour être aimable, qui n’était pas là pour s’intéresser. Donner des preuves de son talent à des gens qui n’en ont aucun, même pas la reconnaissance minimum, est une tragédie maintes fois jouée par les meilleurs acteurs du vin français, qui se demandent sans doute ce qu’ils font là. Il y avait même Xavier Planty, auteur du sublime sauternes château-guiraud, venu sans ses vins, pas grave le garçon est ultra-sympathique, drôle, encore un talent et nous étions bien contents de nous retrouver au milieu de la petite foule inconnue. Le dîner a fait partie de ces moments dont, par chance, on ne se souvient jamais malgré les efforts et le talent, encore un, de David Cobbold qui s'échinait à intéresser les dîneurs à ce qu'ils buvaient. En pure perte, c'était pas le jour.

* Manuel de savoir-vivre à l’usage des jeunes filles, de Jules Gassot chez Stéphane Million Editeur, 286 pages, 17 euros.
La photo : pour une fois, ce n'est pas Mathieu Garçon qui a signé ce portrait d'Yves Cuilleron. Je l'ai trouvé sur le site gobeleteurs.fr que je vous recommande.

mardi 30 novembre 2010

La rafale de saison


Ces jours prochains, retrouvez nos petites chroniques, articles et billets en tous genres dans :
le Journal du Dimanche du 5 décembre, c’est dimanche prochain (ci-dessus, la couv) et comme c’est un supplément, n’hésitez pas à peser sur votre marchand de journaux pour l’avoir, il arrive qu’il l’oublie.
L'Express, dans l'hebdo et dans le supplément Styles (le 8),
Le Monde, dans le magazine du 10 (daté 11).
Surtout n’hésitez pas, les journaux c’est mieux que les blogs, plus de photos, d’infos, de dégustations. C’est plus compliqué à fabriquer et beaucoup moins réactif qu’un blog sur le Net, mais c’est beaucoup plus complet et j'adore ça.

lundi 29 novembre 2010

Charles Heidsieck & Piper-H, on avance

Pour commencer, rappelons que tout ce qui suit est frappé du conditionnel le plus total, les infos que j’ai manquant nettement d’une confirmation « officielle ». En même temps, tout ceci est très crédible. Allons-y.
Alain Thiénot, grand opérateur du vin en France (Champagne + Bordeaux), se porterait acquéreur de la marque Piper-Heidsieck, de ses stocks et des 65 hectares de vigne. Pour revendre aussitôt stocks et vignes à Moët-Hennessy et conserver la marque dans son portefeuille. Pourquoi MH n’achète pas en direct ? Pourquoi faire simple ?
Chez Thiénot, on dément.
Notre favori et sa fille achèteraient Charles Heidsieck, ses stocks et ses crayères à Reims. Belle pépite.
Les Russes ? Il n’en est plus question, comme souvent. L’un d’entre eux a acquis un gros château en Champagne, mais promet qu’il n’ira pas au-delà.
Pourquoi cette vente par appartements ? Parce que l’épouvantail dans ce deal, c’est le syndicat. Les syndicats, en fait. Il apparaît que les champagnes C. & P.-Heidsieck sont ceux qui paient le mieux l’ouvrier et ceux aussi qui se cognent l’inter-syndicale la plus forte. On se souvient de la grève au moment des vendanges, qui a coûté très cher à la Maison. En divisant l’entité en trois ou quatre morceaux, on désamorce la bombe efficacement.
L’affaire serait en passe d’être conclue. A suivre.

dimanche 28 novembre 2010

Des noms

Revenons une seconde sur cette histoire du pavillon France de l'Exposition universelle de Shangaï. On nous en a fait trois tonnes sur l'architecte, sur le budget, ses dépassements, que c'était important pour le rayonnement de la France éternelle. Des voix autorisées se sont élevées pour défendre l'investissement, la présence, le drapeau bientôt. On a appelé Delon à la rescousse (Alain, pas Jean-Hubert). Pourtant, quelqu'un a décidé qu'il n'y aurait pas de vins français dans le Pavillon France. Deux questions. Qui a décidé ? Pourquoi ? Ya forcément un neuneu qui a fait un rapport contre la présence de vins français et un supérieur hiérarchique qui a validé (on dit comme ça chez ces gens-là) et ce petit, tout petit, monde s'est rendormi, coucouche panier, avec le sentiment du devoir accompli. Bon, mais nous, les bons vivants, les gentils, les buveurs de sauternes, nous les contribuables, les Français, ça nous embête et on veut savoir qui c'est. Le gars, il a un nom, un dossier, une carrière, des enfants, une maîtresse (pas sûr), des collègues qui ne boivent pas tous de l'eau. Il y a eu 10 millions de visiteurs. Fallait pas leur montrer une bouteille ? Pourquoi, c'est sale ?
T'es qui toi, tête de mort ? Tu dis pas ton nom ? T'as honte ?

samedi 27 novembre 2010

2010 mieux que 2009

Tout Bordeaux, et le mondovino à sa suite, bruisse de la folle rumeur. 2010 mieux que 2009. Bien sûr, en échange, tous les spécialistes du doute et du soupçon ricanent. Pour des raisons obscures, ils n'aiment ni le succès, ni le beau travail, ils n'aiment pas les dons du ciel, ils marchent à l'ombre. En revanche, ils sont au premier rang des exécutions capitales, ils se délectent des malheurs. Qu'une région viticole essuie un revers et les voilà au banquet du sang frais, ils en font des caisses, annoncent l'irréversible, dénoncent. Pour l'heure, journalistes de circonstance et experts auto-proclamés, réunis sous les mêmes sourcils circonflexes, crient déjà au scandale, à la folle augmentation des prix, à la bande organisée, à la reconstitution de ligue dissoute. Au nom de quoi ? De la défense du consommateur. Qui s’en fout. Qui sait bien qu’il n’achètera jamais la Bentley S et Angelina J, ce qui ne l’empêche pas de bien dormir avec Simone et la Polo. Des vins de qualité que ses moyens lui permettent de s’acheter (à tous les étages de l’argent), il y en a plein le Guide Bettane & Desseauve et plein le Grand Tasting et tout va bien.
Les scrogneugneus, qu’on n’entendait pas en 2006, 7 et 8 feraient mieux de se réjouir. C’est une chance énorme donnée au vignoble de réussir, de continuer à être un exportateur de premier ordre, un modèle pour le monde et ce, malgré les vilenies et les misères dont les ennemis du vin jalonnent à domicile la route des producteurs. Vous n’avez pas été à Shanghaï ? Vous avez bien fait, rien à voir. Pas de vin dans le pavillon France de l’Exposition universelle. Énorme, cette capacité à s’autodétruire que le monde entier ne nous envie pas. 2010, millésime de rêve ? Deux millésimes de suite ? Youpi. Et espérons que 2011 sera aussi, encore, une fois de plus un très, très grand bonheur pour les amateurs, les vrais. Et une chance pour les producteurs dont la notoriété (et la survie) ne se nourrit que de celle du millésime.

vendredi 26 novembre 2010

Mon invitée que j’ai

C’est une fille de 24 ans, ravissante et qui affecte d’être moderne, comprendre qu’elle ne respecte rien ni personne. Elle a le goût des beaux vins, avec une préférence nette pour les liquoreux, ce qui nous a fourni un sujet de conversation forcément, elle dit que ce sont les sauternes et tokay qui lui ont fait aimer le vin. D’habitude, c’est le contraire. Elle écrit drôle, elle a de l’esprit et un mauvais fond qui m’enchante. Je publie ce qui suit sans y toucher, fautes de frappe, d’orthographe, de typo et impropriétés incluses. Je ne partage pas tout ce qu’elle nous raconte. Il va de soi qu’elle signe d’un pseudo, une histoire de « carrière ».

C’est trop « in » d’acheter ses vins sur chateauonline.

Tu es jeune ? Tu es amateur de vin ? Le web 2.0 est ton meilleur ami et le web 3.0 ne te fais même pas peur ? tu connais les chiffres de ta CB par cœur, pas le code pour retirer du cash mais ceux inscrits en relief et le crypto à l’arrière ?
Bravo, tu es bon pour filer sur chateauonline.fr.
Sur ce site, c’est trop la fête. Des promotions à gogo, une sélection internationale, les ventes en primeur, des idées cadeaux et même une rubrique mets-vins.
T’y connais rien mais t’as bien senti que tu pourrais plus y échapper, entre ton nouveau taf d’assistant marketing et tes potes qui se shootent au Nez du Vin ? y’a même une rubrique « J’y Connais Rien ». Un peu la honte, faudra juste pas oublier d’effacer l’historique de navigation du Safari de ton Ipad dernier cri après consultation.
Mais moi perso, je trouve ça plutôt flippant d’acheter du vin en ligne. T’as même pas un gentil caviste pour t’expliquer pourquoi tu vas l’aimer, du coup tu reprends toujours la même bouteille parce que celle là tu sais que beau papa il l’aime, et au final tu passes pour un ringard sans originalité, de surcroît radin vu que tu ne pourras pas t’empêcher de te vanter que tu l’as acheté moins cher et en ligne (c’est ton côté geek ça).
Et puis les prix cassés je trouve ça louche. Tout le monde sait que le bon vin coûte aussi cher qu’un manteau en peau de ragondin.
Heureusement ils sont futés chez Chateauonline.fr, ils les ont vu venir les petits sceptiques comme moi qui tel Saint Thomas, ne boient que ce qu’ils voient.
Alors ils organisent régulièrement des dégustations. Dans le monde réel. Celui ou tu peux sentir le vin, et même le faire couler dans ta gorge. Celui ou tu payes en cash.
30 €. Plus cher que le prix d’un dîner vin compris au bistrot en bas de chez toi, surtout si t’as fait ta résa sur lafourchette.com et bénéficié de 50% de réduction sur l’addition (hors menu, hors boissons)
Mais pour 30 €, t’en as pour ton argent. Une sélection de vignerons, des vrais, ceux qui font du vin dans leurs vignes toute l’année, ceux qui connaissent la terre, la campagne et sautent chaque année en septembre à pieds joints dans leur récolte.
Pour 30 € t’es content, tu vas pouvoir toucher du vigneron, lui parler, lui poser des questions, lui il va ta répondre, tu vas boire son vin plus que ses paroles parce qu’en fait tu comprends rien à ce qu’il te dit, mais c’est pas grave parce que sur chateauonline, de toute façon t’as toutes les fiches techniques, et donc il sera toujours temps de les apprendre par cœur avant le dîner ou tu serviras la bouteille de celui que tu connais maintenant personnellement.
Sauf que.
Sauf que derrière la table, 3 fois sur 4, c’est pas le vigneron à qui tu causes. Tout au mieux son agent sur Paris, quand c’est pas le stagiaire de chez Chateauonline réquisitionné pour l’occasion.
T’as vraiment cru que le vigneron, il allait venir depuis sa Bourgogne profonde pour une dégustation d’inconnus, de surcroit amateur, et pour laquelle il doit payer ?
La blague.
Heureusement t’y vois que du feu, parce que t’es quand même sur la péniche Maxim’s, ambiance art-déco, tu trouves ça trop classe les moulures dorées et les miroirs partout. Et puis y’a un bête de buffet où tu peux manger tout ce que tu veux, gratuitement (t’as oublié les 30 € de l’inscription, c’est ton 5e verre et t’oses pas cracher, t’as peur de t’en foutre partout). Juste un conseil, évites le gouda au cumin, ou sinon oublie le vin, parce que tu sentiras plus rien. Je sais pas qui est le traiteur, mais si Robert Parker avait été là, il lui aurait foutu un procès. C’est criminel de servir un truc pareil à une dégustation. Et pourquoi pas de l’ail cru à grignoter aussi ?
Allez, t’as fais le tour des 4 tables, mis 3 cœur à côté du vin le plus cher sur ton carnet de dégust, c’est le cœur léger que tu te diriges vers la sortie.
Tu penses déjà à ta prochaine commande. Noel approche va falloir leur en mettre plein la vue. Surtout que maintenant que t’es un pro, on t’attend au tournant. Heureusement chateauonline à pensé à tout, « Quel Noel êtes vous ? » t’assures de casser la baraque. Tu vas pouvoir choisir entre Classique, Original, ou Inattendu. Et ça c’est stylé. Tu te vois déjà annoncer : sur le chapon ? Oh, j’ai voulu faire un accord classique… Mais tu vas voir sur la bûche, c’est très inattendu ! J’ai pris de risques, mais je suis confiant, j’avais longuement parlé au vigneron lors d’une dégustation sur la péniche Maxim’s, ça va très bien fonctionner.
Joyeux Noel.
Clémentine de Lacombe

Charles & Piper qui ?

La rumeur promet que nos supputations sont fausses. Ce ne serait pas ceux à qui nous pensions qui seraient en première ligne sur le rachat des deux (ou d’une seule des deux) marques du groupe Rémy Cointreau. Promis, juré, Nicolas, je te le dis, tu peux me faire confiance. Faisons. Alors, qui ? Qui va reprendre notre Charles Heidsieck préféré, ce champagne immense fait pour les gens qui aiment le champagne ? La rumeur (170 cm, 70 kg) avance la possibilité de Russes. Bon, c’est pas un scoop, ya toujours des Russes dans une négo, ils ne finalisent que très rarement. A suivre donc.

dimanche 21 novembre 2010

Aimons Luchini plus


Tout commence chaque fois par un dîner chez Bouchard Père & Fils. Avant, nous suivrons la dégustation commentée des vins de l’année précédente. 2009. Les rouges sont mieux que les blancs, mais tout de même, les chevalier-montrachets, quelle finesse. Les montrachets, eux, avaient embouché leurs trompettes et klaxonnaient joyeusement aux portes du palais, tel le supporter un soir de victoire de l’équipe supportée. Au dîner, les vins étaient magnifiques, la conversation joyeuse et polyglotte, une belle soirée dans l’une des plus belles maisons de Beaune. D’ailleurs, on dit château Bouchard.
Le lendemain, déjeuner chez François d’Allaines, négociant de petite notoriété, mais bon faiseur comme l’a dit un jour Jean-François Coche-Dury (« si c’est un vin de chez d’Allaines, vous pouvez y aller en confiance ») et comme me le confirmait quelques moments plus tard Jean-Luc Aegerter (« il fait de belles choses »). François d’Allaines, c’est le seul au monde qui vous reçoit avec d’autres vins que les siens, un blanc de chez Coche-Dury, justement. Un puligny, je crois ou était-ce un meursault ? C’est pure gourmandise de sa part et c’est bien ça qui est joyeux, détendu, élégant. Bravo, François, et merci pour le déjeuner divin. Googlisez François d’Allaines, commandez-lui du vin, si la France du vin était tenue par des mecs pareils et uniquement, on serait encore plus fier.
On se retrouve dans la cave de Jean-Luc Aegerter à goûter un sublime bâtard, suivi d’un clos-de-la-roche d’exception. Belle journée. C’est bien, la Bourgogne, on ne passe jamais des heures à goûter les entrées de gamme. Et puis, en Bourgogne, ils ont plein d’étiquettes et il n’y a pas deux grands crus qui se ressemblent et tellement de gens qui font très bien, c’est un nid plein de bonheurs, des grands, pas des petits. Nous irons ensemble, plus tard et en grande pompe au Chapître des Trois glorieuses, au château du Clos de Vougeot, le grand dîner black-tie qui précède la vente des Hospices de Beaune. Là, dans le cellier grandiose, 550 personnes sont reçues par les membres de la Confrérie du Tastevin. Comme toujours en Bourgogne, l’humeur est à la poilade et aux bons coups à boire. L’assemblée est très globale, des amateurs du monde entier se pressent. On reconnaît un à un tous les patrons des grandes maisons, Latour, Gagey, même Christophe Navarre, pourtant super-discret, limite incognito. On chante des chansons en battant des mains et ce qui, ailleurs, pourrait être un peu lourdingue devient vite un moment d’une grande simplicité et chaleur. Des filles ravissantes chantent « Je suis fier d’être Bourguignon » sans réaliser que les décolletés de leurs robes du soir sont calculés au plus juste. Tout le monde s’en fout, on n’est pas à la Voile Rouge. Les discours succèdent aux chansons. On intronise dans la Confrérie des amis d’amis et le président de la vente du lendemain, le délicieux Fabrice Luchini. Après avoir fait allégeance en hurlant « Juro » pour dire qu'il est d'accord, il a lâché mezzo voce un « Erecto » très dans sa manière (et dans la nôtre, bien sûr, nous adorons tous ces petites blagues cultivées, rigoler en bas latin, c'est beaucoup). Puis, il s’est lancé dans un discours improvisé, du pur Luchini, un truc gigantesque, très drôle, se moquant de tout et de tous, surtout de ses confrères « de gauche, les professionnels du charitable », enchaînant les idées au petit bonheur la chance, quelle chance. Le sommet a été atteint quand il a dit à cette assemblée médusée qu’elle était « un rempart contre le marxisme ». Les étrangers ne comprenaient rien à cette logorrhée extrême, les locaux étaient d’accord, les Parisiens jubilaient, un instant rare. Il a conclu « si Dijon gagne, on est niqué », la salle en larmes, on ne lui avait jamais si bien servi la soupe. Il ne devait pas s’arrêter là. Le lendemain, devant les télés, il a recommencé, affinant le propos, « rempart contre le stalinisme », et la pièce du Président, vendue par ses soins à un public parfaitement aimanté, est partie à 400 000 euros, le double du record d'avant, historique comme on dit dans les journaux. Il est très fort, le Luchini, un bonbon, aimons-le, aimons-le plus.
Le lien pour voir le film de la vente avec Luchini au marteau, son meilleur rôle :
http://foodintelligence.blogspot.com/

La photo : Fabrice Luchini, à l'entrée des Hospices le dimanche après-midi, reportage creusot-infos.com

mardi 16 novembre 2010

Charles & Piper, premier prix

Un site boursier (Open bourse) avance un prix de cession des deux marques de champagnes Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck. 310 millions d’euros annoncés comme un prix de marché. Avec 65 hectares de vigne et un immobilier déjà démantelé, ça me paraît beaucoup. Le site cite (si, si) également les noms de repreneurs possibles. Vranken et Nicolas Feuillatte, je n’y crois pas du tout, et Lanson, possible en effet. L’histoire continue.

lundi 15 novembre 2010

L’info du jour qui tue

Les marques de champagne Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck sont en vente depuis ce matin. Officiellement. Ce qui laisse penser que les tractations engagées depuis plusieurs semaines avec tel ou tel acquéreur sont en bonne voie d’achèvement. De qui s’agit-il ? De nombreux noms sont régulièrement évoqués (MH, Magrez, Vranken, d’autres), auxquels nous ne croyons pas du tout. En revanche, on connaît un investisseur qui rêve d’avoir une belle marque de champagne toute entière à lui pour ajouter à sa collection naissante. Une rumeur très peu diffusée dit qu’il tient la corde sur le dossier. Ce monsieur, et sa fille, sont connus pour être très attentifs à la qualité des vins qu’ils produisent. C’est donc une candidature qui devrait rassurer les amoureux, que nous sommes, de Charles Heidsieck, son chef de cave épatant, son merveilleux BSA et son exceptionnel Blanc des millénaires 1995. La suite très vite, logiquement. Aussi, il serait très amusant de connaître le prix demandé par Rémy Cointreau (c'est pas un bonhomme, c'est le nom de la société propriétaire). Selon nos sources, ces deux marques auraient été achetées l'équivalent de 480 millions d'euros. Ce qui constitue une base de calcul. Pour mémoire, Champagnes Taittinger a été vendue 520 millions d'euros par les Américains de Starwood. Mais sans l'ombre d'un problème de positionnement, avec un bel immobilier et avec 280 hectares de vigne et une valoristaion du stock à hauteur de 200 millions d'euros à une époque (2005-6) où le champagne s'envolait, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui où le stock est plus un problème qu'une opportunité. Alors, combien ? Les paris sont ouverts.

samedi 13 novembre 2010

Le Davos du vin, suite sans fin

Ils n'étaient pas là, ils nous ont manqué, voici qui et pourquoi :
Hervé Bizeul (Clos des Fées), pour cette « autre voix » unique et puis Claudine aurait adoré.
Bérénice Lurton (Climens), elle avait forcément quelque chose à dire, sa nouvelle biodynamie, le commerce difficile des liquoreux.
Mathieu Chadronnier (négociant), place à la génération montante quand elle a des trucs sensés à dire.
Pierre Seillan (Vérité, Lassègue, Arceno), pour les fulgurances multi-culturelles.
Edouard Miailhe (Siran), pour son expérience énorme et si opportune des marchés asiatiques. Tout le monde t’écoute, Doudou.
Régis Camus (Charles Heidsieck & Piper-Heidsieck), le sparkling winemaker of the year depuis des years doit être là, ces jours-là, et nulle part ailleurs.
Denis Dubourdieu (Doisy-Daëne, etc.), parce qu’on ne peut pas se passer de Dédé-la-science.
Thierry Desseauve, parce que Bettane tout seul ne suffit pas.
Gérard Perse (Pavie, etc.), pour cette « autre voix » unique et puis Chantal aurait adoré.
La bande de chez Moët-Hennessy, Maggie H en premier et Richard et Benoît et les autres, et le nouveau président canadien. Pas un seul de la grande maison, vous trouvez ça normal ?
Jacques Lardière (Jadot), pour la vaporisation des molécules, ça vous change une journée.
Bruno Quenioux(PhiloVino), pour la philo du vino.
Noël Pinguet (Huet à Vouvray), pour parler d’autre chose et s’envoler un peu sur un air de bienveillance bougonne.
Michel Chapoutier, Jean-Luc Colombo, Caroline Frey parce qu’il faut bien redescendre sur terre de temps en temps et que le lac de Côme vu de la Villa d’Este vaut bien le Rhône vu de la colline et des coteaux.
Le frère Marie-Pâques (Abbaye de Lérins), il aurait parlé de Dieu et du business. Epatant.
Antoine Leccia et/ou Joseph Helfritsch (Advini et Grands chais de France), parce que le succès, ce n’est pas sale.
François Mitjaville (Tertre-Rotebœuf), Eloi Dürrbach (Trévallon), Jean-Michel Deiss (Marcel Deiss) et tous les géants du vignoble.
Vous imaginez un peu la tête du congrès ? Enorme.

vendredi 12 novembre 2010

Le Davos du vin, les détails


Un dégustateur et un universitaire, Michel Bettane et Jean-Robert Pitte, devisent légèrement sur la balustrade qui longe le lac, le regard perdu dans le décor. Où il est question de république et de démocratie, leurs mérites respectifs et contradictoires, et le vin décrit comme une geste artistique. On n’est pas n’importe où et la conversation a du contenu. Ils viennent d’inventer la République de la Villa d’Este, ils le disent, ils en rient pour dire qu’il ne faut pas exagérer, l’humilité est une vertu. Ils ont raison, pourtant, et il n’y a pas de quoi rire.
Là, à l’invitation de François Mauss, aussi président du Grand jury européen, se sont rassemblées deux cents personnes parmi les plus influentes du monde du vin. Bien sûr, il en manque. Il faut dire qu’on est pleine vinification des rouges à Bordeaux et en Bourgogne et en Champagne et partout, aussi en Italie et en Espagne. Pourtant certains sont là et, comme par hasard, ce ne sont pas les plus mauvais. Noblet de la Romanée-Conti, Vauthier d’Ausone, Hervet de Faiveley, Rouzaud de Roederer, de Boüard d’Angelus et les Decelle, Rousseau, Mortet (le fils, bien sûr), Sylvain Pitiot du Clos de Tart, etc. Il y a des grands négociants (Develay de Mälher-Besse en particulier), des gens de liège et de chêne (Taransaud, Seguin-Moreau), Laurent Vialette, l'expert des vieux millésimes, drôle et insolent, avec ses inventions (verres et gestionnaire de cave). Il y a la crème des dégustateurs du monde entier. Il y a même un consultant-star en la personne de Stéphane Derenoncourt. Le meilleur monde. C’est la deuxième édition et, à l’évidence, c’est l’endroit où il fallait être, vinif ou pas, en ce début de novembre. Du matin tôt jusqu’au soir, des conférenciers passionnent leurs alter-egos malgré la douceur du temps et ce soleil d’un automne radieux qui fait briller les eaux du lac et les yeux des photographes. Le lac de Côme est un gros fleuve sans courant, en forme de V, d’une centaine de kilomètres de long. A la hauteur de la Villa d’Este, il n’est pas large du tout, moins que la Gironde à Pontet-Canet, moins que le lac d’Annecy à Veyrier. Quand le soleil passe les montagnes en fin d’après-midi, le lac prend une teinte nouvelle, un vert profond, un poil laiteux, d’une élégance folle, qui ferait merveille dans le nuancier d’un Farrow & Ball. On est au tournant de novembre et le soir est frais. On passerait des heures dans le parc vide à considérer cette grosse flaque molle et les lumières de la rive d’en face ; on ne le fera pas, pas le moment de pointer à l’infirmerie avec tout ce qui nous attend. L’endroit est ravissant, tout simplement, il n’incite pas à la concentration travailleuse. Et pourtant. Dans les salles de réunion, on se dispute les dernières chaises, les traductrices simultanées n’en ratent pas une miette, les bras se lèvent pour demander le micro et la parole, les commentaires vont bon train, c’est passionnant. Bettane ouvre les hostilités avec une brillante causerie sur les nécessités réglementaires pour que nos vignerons puissent continuer à faire des grands vins au lieu de passer leur vie à noircir des liasses d’imprimés administratifs. On parlera aussi de la Chine et de ses perspectives, des problèmes de bouchage et de la tonnellerie, le professeur Khayat a fait le point sur les rapports entre le vin et la santé. Pitte, en familier des grands amphis, sait tenir son auditoire comme personne et déclenchera un tonnerre d’applaudissements en expliquant ce qu’il faut dire aux jeunes pour leur apprendre la consommation responsable, parce que « La beauté invite à la responsabilité ». Derenoncourt témoignera de son expérience des vins étrangers et des rapports que les vignerons d'ailleurs entretiennent avec les référents et Hubert de Boüard mettra le pied dans la porte avec sa conférence sur le rôle de la marque par rapport à l’AOC dans le commerce des grands vins, provoquant ainsi quelques réactions d’humeur qui montrent à quel point il a raison. Pendant les récrés, certains vont se promener en bateau sur le lac, le long des belles propriétés, une forme de tourisme immobilier, en quelque sorte. George Clooney n’a pas fait autre chose avant de s’installer là. D’autres visitent le parc de la Villa d’Este, c'est Bernard Magrez qui promène le long des allées son élégance inoxydable. L’homme le plus puissant de Bordeaux songe sûrement à sa prochaine acquisition, son 37e domaine. Il a une idée, ça se voit, je ne vous la dirai pas. Dans l’hôtel, les groupes se forment, on débriefe les conférences de la journée. Tout ceci est très courtois, on a l’enthousiasme tenu dans le mondovino, mais les yeux brillent et les sourires sont vastes. Olivier Decelle, d’ordinaire assez taiseux est en grande conversation avec des experts asiatiques, mais d’où ?
Il y a eu aussi une dégustation extrême. Les sept crus de la Romanée-Conti et les neuf grands de Bordeaux dans le millésime 1990. Un moment rare, où les certitudes sont ébranlées. Certes, nous avions affaire aux plus grands vins du monde, mais tous n’avaient pas fait ce voyage de vingt ans en business class et, à l’arrivée, il y avait des espaces entre les uns et les autres. Si le maître de chai du Domaine de la Romanée-Conti expliquait d’un air modeste que ses vins avaient encore trente ans devant eux, il n’en était pas de même de certains des premiers crus de Bordeaux. Un dégustateur américain rappelle que les vins récents de ces mêmes domaines sont bien meilleurs aujourd’hui qu’il y a vingt ans, sur quoi tout le monde s’accorde. Dans un premier temps, cette dégustation se fait à l’aveugle. Puis, François Mauss annonce qui est qui. La romanée-conti était dans le verre n° 6, j’avais bon. Bien sûr, tout regoûter en sachant qui est qui. Ce qui change tout. Quand on goûte petrus et qu’on ne le sait pas, comment dire ? Il n’a pas le même goût, pas tout-à-fait. Inutile de faire comme si, de faire le savant, l’affranchi, ce n’est pas pareil et voilà tout. Tenir de tels propos est un peu iconoclaste, mais tout le monde n’est pas tombé dedans quand il était petit. On va me mépriser encore une fois, mais bon, j'apprends.
En tout cas, pour l’assistance recueillie, il y avait un objet de trop lors de ces dégustations d’anthologie : le crachoir. Pour les avoir inspectés un à un à l’issue des débats, j’affirme qu’ils n’ont pas beaucoup servi, voire pas du tout. On peut comprendre le secret – et fou – désir qui hante les uns et les autres d’assimiler vraiment un demi-verre d’yquem, de la romanée ou d’ausone, de se savoir constitué de quelques gouttes de ces vins rares, d’en être le récipiendaire définitif. Peut-être même certains sentent-ils pour de vrai une variation dans l’intensité du sang qui coule dans leurs veines, heureux rêveurs.
La photo : le lac de Côme depuis la Villa d'Este, photographié par Mathieu Garçon

lundi 1 novembre 2010

Le Davos du vin

Nous venons de passer quelques jours à la Villa d'Este au bord du lac de Côme à l'occasion du World Wine Symposium. Nous avons réalisé un film de témoignages qui réunit quelques-uns des grands intervenants. En attendant que ce film soit monté, en voici un extrait. Jean-Robert Pitte, prof à la Sorbonne et auteur de nombreux livres sur le vin (je recommande Le vin et le divin) nous explique ce qu'il fait à Côme. Trois minutes, c'est passionnant, instructif et inhabituel.

mardi 26 octobre 2010

From Tokaji


Le bonheur du liquoreux vu par les Hongrois. Un vin immense que personne (en France) ne boit. Ce qui m’épuise. Qu’est-ce qu’il faut faire pour que les Français s’intéressent enfin aux liquoreux de Sauternes, de Barsac, de Loire et de Hongrie, donc ? Ces vins si difficiles à faire, si difficiles à vendre, recèlent des trésors aromatiques. Ils vont avec tout. Les huîtres, les poulets, les longues soirées, les plus grandes simplicités, les dîners de gala.
C’est un vin d’hiver, c’est un vin d’été. C’est un vin raffiné, d’une extrême complexité et longueur, un vin sans fin. C’est le vin des gens qui aiment le vin. C’est un vin qu’on peut ouvrir, remettre au fridge et ressortir trois semaines après, il aura encore gagné des arômes nouveaux. Une jeune dir’com de gros groupe me disait son inquiétude de voir les liquoreux réservés à quelques happy few. Mais c’est fait, chérie. Nous sommes very few à aimer les liquoreux et very, very happy avec.
Aujourd’hui, en plus, j’ai découvert que c’est (et de loin) le meilleur ami de la truffe blanche, comme le pomerol est celui de la truffe noire. Et il y a longtemps que j’ai compris que c’est le grand vin le moins cher de tous.
Des crétins au front bas ricanent en prétendant que c’est un vin de vieux. Si cela signifie que c’est un vin d’expérience, un vin d’après les autres vins, peut-être. En même temps, le caractère sucré des liquoreux en fait plutôt un vin de jeune, non ? Cessons là ces arguties, elles sont sans objet. Quand ils sont bien faits, quand ils profitent d’une viticulture bien menée et d’une vinification moderne, ce sont des vins dont l’acidité remarquable harmonise la sucrosité de la liqueur pour en faire un vin réellement light. Goûtez le Kapi six puttonyos 2005 de Disnoko, c’est un très grand liquoreux d’une pureté de cristal. Il coûte 75 euros pour une bouteille de 50 centilitres. Est-ce cher ? Tout dépend à quoi on le compare. C’est le prix d’un mauvais déjeuner à deux dans un restaurant parisien. Un plein d’essence quand il y en a, de l’essence. Le prix d’une chemise pauvrement coupée par des enfants nés au mauvais endroit, au mauvais moment. C’est ça, 75 euros. Est-ce cher ? Ce vin porte tant d’émotions, c’est un cadeau à se faire à soi-même et à ceux que l’on aime. Sous réserve d’être plutôt réactif, il n’y en a que 5 600 flacons. C’est peu, même si ça n’intéresse pas le plus grand nombre.

mercredi 20 octobre 2010

Pour Marcel Lapierre

Je n’ai jamais rencontré Marcel Lapierre. J’ai bu ses morgons si largement distribués sur la planète bistrotière parisienne sans être autrement convaincu par la version « nature » de ses vins. Le modèle sulfité était, comme souvent, bien meilleur. J’ai lu le merveilleux bouquin de Lapaque, je crois même l’avoir lu deux fois.
Là, il est mort et je ne sais pas trop quoi dire. Heureusement, il y en a qui savent. Allez faire un tour sur le blog de Jérôme Leroy, il en parle joliment à l’adresse ci-dessous :
http://www.causeur.fr/marcel-lapierre-mort-d%E2%80%99un-vigneron-francais,7648

mardi 19 octobre 2010

De Cognac, carte postale à une amie


Chère amie,
Le jour se lève sur les eaux placides de la Charente. Ici, à quelques kilomètres de Cognac, c’est une rivière molle, pas du tout un fleuve, rien à voir avec le Pô et les lacs, les lacs prometteurs qui vous ont vu grandir, les lacs et leurs langueurs.
Les nappes de brouillards prennent leur temps, il est trop tôt. L’humidité scintille sur les bois tombés et sur l’herbe qui mouille les chaussures, les feuilles meurent. Le soleil sèchera tout ça très vite. Cette beauté renouvelée de la campagne française, le côté bien nourri, ce n’est pas pareil ailleurs. Il est dit que la beauté des paysages à quelque chose à voir avec la magie des eaux-de-vie. Tout à l’heure, nous serons dans les vignes d’ugni blanc, cette image, le meilleur de la civilisation, ces grands jardins bien tenus, il y a du zen dans les paysages charentais. Et une douceur intense. C’est l’avantage de la vigne, l’urgence exfiltrée tout d’un coup de votre vie. En soi, c’est la bonne raison du voyage, du détour, l’impression de lâcher prise, pourvu qu’il fasse du vent, les cheveux en l’air, on se trouvera un peu rebelle, c’est grisant, inattendu en Charente, pays du cognac et des pantoufles.
Une grenouille plonge discrètement dans l’eau plate. Un cygne, non c’est une grosse oie sauvage, glisse sans faire de vague, en silence, l’air contrarié. Il n’y a pas de quoi, pourtant. Ces brumes, cet air saturé de molécules d’eau douce (l’océan est loin), c’est le secret du vieillissement du cognac. Une partie des secrets, en fait. Les maîtres de chais ont le choix entre deux méthodes. Les chais humides, au bord de la Charente et les chais secs, en rase campagne. Ils n’ont plus le droit de stocker des spiritueux en ville, en raison des risques d’explosion, d’incendie. Maintenant, c’est classé Seveso, tout ça. Les chais humides assurent un vieillissement plus lent, mais une évaporation bien moindre. Dans un chai sec, les eaux-de-vie mûrissent plus vite, mais l’évaporation est plus importante. Entre 2 et 3 % du stock, chaque année. Enorme. Le choix entre sec et humide est un paramètre majeur dans le goût final du cognac que nous goûterons un jour. Hennessy, par exemple, a opté pour des chais de bord de rivière à Cognac quand Rémy Martin, autre maison considérable, a installé ses stocks à Merpins, sur le plateau, loin des brumes, de l’eau. Pour comprendre, visitez les deux endroits, léger avantage à Hennessy, les chais de Rémy Martin ont une drôle de tête, l’impression d’entrer dans un pénitencier un peu bizarre. Les chais immenses qui abritent chacun 6 000 barriques sont rangés comme dans un camp militaire, pour un peu on entendrait les soldats qui marquent le pas. Ailleurs, à Jarnac, l’ambiance est radicalement différente. Chez Delamain, on entre de plein front dans le début du siècle (le XXe). Un côté école communale transformée en une drôle d’entreprise, où le déclenchement même du succès est fondé sur le temps qui passe, sur l’attente. Bien sûr, ils n’y font pas rien, mais on pourrait le croire, on voudrait les voir assis sur un banc au soleil d’automne en attendant que toutes ces barriques livrent enfin leur cognac à point de maturation, que vienne le temps de la mise en bouteille. En fait, ils passent leur vie d’un avion à l’autre sur tous les marchés amateurs de leurs eaux-de-vie, bonjour le bilan carbone, mais c’est une autre histoire. 96 % de la production est vendue à l’étranger, persuadé que le cognac est une manifestation raffinée de l’art de vivre à la française. Espérons que personne ne s’apercevra de la supercherie, ne verra que l’aura s’est dissoute dans l’indifférence française.
Les villages abritent tous de belles maisons patriciennes et d’adorables fermes, tout ceci respire les bonnes choses à boire, à manger, la vie douce, un peu arrêtée, délicieuse. On ira à Saint-Sauvant, cet incroyable village qui a agrégé une population d’architectes du monde entier. Chacun a restauré une maison ou deux, le village est sublime, vivant, pas un musée. Un hôtel ultra-design se cache derrière les façades historiques d’un petit groupe de maisons, elles-mêmes à l'ombre d'une grande église romane qui se regarde dans les eaux noires de la piscine de l'hôtel, c'est d'un chic. Nous pousserons jusqu’à Segonzac, saluer Max Cointreau et ses 90 ans, au bureau tous les matins, un vieil homme charmant, espiègle, une légende, propriétaire des cognacs Frapin et des champagnes Gosset, deux maisons gérées par son fils Jean-Pierre. Ici, on ne fait rien comme tout le monde. Au lieu d’acheter le raisin à des vignerons indépendants, qu’on appelle des livreurs, on ne compte que sur les 300 hectares du vignoble de la maison, de belles parcelles articulées autour du joli château de Fontpinot. Du coup, on n’en fait pas beaucoup du cognac. Mais Dieu, qu’il est bon. Si les Français savaient ça, le cognac reviendrait en grâce dans les après-dîners et les Français reprendraient cette conversation intime avec leur verre, les sens affolés par les arômes raffinés, retrouveraient cette chaleur qui porte à toutes les tolérances, tous les abandons. Qui fera l’éloge de l’émollient au lieu de nous fatiguer avec le « festif », ce sous-concept à bout de souffle, ringardisé par l’époque et ses envies enfin modernes ?
Justement. Dans ce registre si difficile à interpréter, il y a un cuisinier qui s’en sort très bien, le sympathique Thierry Verrat, je vous le recommande, chère amie, nous irons ensemble. Il est à Bourg-Charente, petit village construit dans une boucle de la rivière. Le restaurant s’appelle La Ribaudière. Avec un nom pareil, on a le droit de craindre le pire, les nappes empesées, le personnel en noir & blanc, l’austérité de ces adresses de province qui n’en finissent plus de se pousser du col, les lèvres pincées, la réprobation. Non. C’est un endroit très contemporain, surprenant. Le chef est habile et si l’assiette enthousiasme le client, la carte des vins l’enchante avec ses tout petits prix et sa très large sélection. Le genre d’endroit où l’on laisserait volontiers son rond de serviette. On ne le fera pas, on the road again. Et cette campagne éternelle qui recèle des trésors va nous en livrer d’autres. Le prochain, c’est le village de Genté et les cognacs Léopold Gourmel. Ici aussi, c’est le triomphe de la modernité. A coup de formules et d’opinions assénées comme autant d’évidences, « La beauté du cognac, c’est sa cohérence aromatique », Olivier Blanc a construit une marque et rencontré un vrai succès à base de simplicité, d’authenticité et de pédagogie. Au lieu de dénommer ses produits VS, VSOP ou XO, il les a appelé L’Âge des fruits, L’Âge des fleurs, des épices, etc. Aujourd’hui, il est partout le chouchou des grands chefs dans les restaurants qui vont bien, la partie est gagnée. Comme tous les grands faiseurs de cognac, il a des vérités qui ne sont pas celles des autres. Lui, ses choix différents concernent les barriques, il dit exactement le contraire de ce qui se fait. Chacun suit son chemin et tous – presque tous - parviennent au même endroit, à l’excellence. C’est sidérant, cette idée qu’il n’y a pas d’autre règle que l’attention extrême à tout.
Retour à Cognac, le château de l’Yeuse, bel hôtel cossu à l’entrée de la ville. Le chef est un bon, sa femme tient la sommellerie, on est tranquilles. De là, nous passerons quelques moments au château de Cognac, austère forteresse à peine civilisée par la Renaissance ou le XVIIIe siècle. La maison Otard, qui occupe les lieux, reçoit très bien l’amateur. Ne surtout pas rater la visite des cachots ou de la chambre qui a vu naître celui qui devait devenir François 1er, mille anecdotes drôles ou terrifiantes, vous frémirez, quelle chance. Plus loin, en ville toujours, c’est Martell, grande maison s’il en est. Là, tout est mis en œuvre pour aider le visiteur dans sa compréhension du cognac. Un petit côté musée Grévin qui est très amusant. Et, ici comme ailleurs, le même dévouement des gens qui reçoivent le public.
Oubliez tout ce que vous venez de lire et partez à Cognac en auto. Roulez dans la campagne au milieu des hautes vignes très espacées, l’air est doux, c’est déjà le Sud, mon amie, vous êtes chez vous. Baissez la fenêtre, ouvrez les yeux, respirez profondément.
N
La photo : la Charente à Cognac, photographiée à l'aube par Mathieu Garçon. Cet article a été publié, sous une forme différente, dans Série limitée – Les Échos.

lundi 4 octobre 2010

Le quoi ? (2)


Cette fois, c’est le Fooding. L’événement gastronomique à la mode à Paris sous le patronage de San Pellegrino, l’eau italienne mollement gazeuse. Une théorie de chefs concoctent chacun un repas pendant 72 heures non-stop, nuit & jour. Le public d’amateurs est invité à s’inscrire sur le site du Fooding, tirage au sort, une trentaine d’élus sont priés. Les heures des repas sont pour le moins rock n’ roll. Vous pouvez être convoqué à quatre heures du matin ou à quatre heures de l’après-midi, ça ne tombe pas forcément juste. Bon. Le Fooding, le nom est assez gros bêta, mais c’est un nom de la fin des années 90, ils ont des excuses. Cette année, les chefs se succédaient dans la grande galerie W, rue Lepic à Montmartre, le temple de l’art contemporain et le bon spot des Abbesses, génialement mis en scène par Eric Landau et sa femme Isabelle, une histoire qui réveille le quartier. C’est une longue table d’hôtes, on ne choisit pas ses voisins, nous sommes bien tombés. Bien sûr, le brassage social n’est pas le sujet. Ma voisine de gauche ne l’était pas, bossait au Figaro, au service photo, on n’est pas dans la sidérurgie. L’autre voisine, à droite (oui aussi) faisait dans l’immobilier de luxe, voyez le genre, des souvenirs pour moi. Le chef aux manettes quand c’était notre tour s’appelle Beaufront, il a un resto, l’Avant-goût, rue Bobillot à la Butte-aux-Cailles. C’était bon ? Oui, bof. Des idées, mais j’ai déjà mieux déjeuné. On a raté Peter Nilsson (souvenir somptueux des Trois Salons à Uzès, une autre vie, François Simon avait inventé un axe Roellinger à Cancale - Nilsson à Uzès - Pierangelini à San Vincenzo en Toscane, vieille histoire), Camdeborde, Michalak et Ledeuil, le Basque du Chateaubriand (je ne sais pas écrire son nom, excuse), et plein d’autres dont le Piège, celui qui n’aime pas le sauternes et pas le vin en général, non plus. C’est la première fois que je me branche sur cette affaire de Fooding. L’intérêt ? Mettre la gastronomie inventive et sincère à la portée des branchés du sujet sans trop de prise de tête. Pas si mal, déjà. Le vin occupait une vraie place, argumentée et démontrée, avec petit cours de dégustation bien tapé, pédagogique et rigolo. Bon, j’étais content pour ça. C’est Inter-Rhône qui s’y collait avec quelques beaux côtes-villages (Rasteau, Seguret, Valréas, etc.) dans les bons millésimes (2007 en particulier). Voilà. Le Fooding, c’est sérieusement organisé et malin pour un très petit nombre de convives à la fin. C’est la limite du truc.
En haut, un tableau de Troy Henriksen, représenté par la galerie W

mercredi 29 septembre 2010

Le quoi ?


Voilà que Moët & Chandon nous envoie un magnifique dossier de presse pour annoncer la sortie du grand-vintage 2002. C’est la nouvelle merveille de Benoît Gouez, chef de caves et magicien chez Moët. Ce 2002 est un grand vin, même pas très cher à 45 euros, très peu dosé (5,5 grammes de sucre par litre), ce qui signifie que Gouez a utilisé des raisins mûrs, ce qui signifie également que les grandes maisons de Champagne (celle-ci déjà) se préoccupent enfin de faire de grands vins ou que Gouez a réussi à imposer cette exigence-là, merci et bravo. Comme il est très beau, on feuillette le dossier de presse, les photos extraordinaires de notre chère amie Mathilde de l’Ecotais en font vraiment un objet en soi. On lit un peu les quelques infos et là, patatras, le machin vous tombe des mains. Dans un coin, à la sournoise, voici qu’un concept a été installé par quelque cinglé du marketing. Le gourming, ils appellent ça le gourming. Pourquoi pas le gourmanding ? Ou le gourmeting ? Non, c’est le gourming. Consternation. Où l’on apprend que ce mot grotesque recouvre une tendance nouvelle, que c’est (je cite) « la version moderne et pétillante des traditionnelles mondanités de fin d’après-midi », je vois que vous baillez d'ennui, c'est pas fini (je cite encore) : « la seule règle est de proposer des mets en parfaite harmonie avec Grand Vintage 2002 ». Ben, ouf, on craignait le pire. Des trucs immangeables avec du champomy. Non, ce ne serait pas gourming.
Sans être grand clerc, on peut prédire un avenir des plus limités à cette fausse tendance ridicule. Benoît, te laisse pas faire, ils abîment tout avec leurs conneries.

vendredi 24 septembre 2010

Le grand blond des vins blonds


Bonjour. Voici Dominique Demarville. Il est le chef de caves des champagnes Veuve-Clicquot. C’est-à-dire que c’est lui qui fait, littéralement, les vins que vous buvez. Ne me dites pas que vous n’avez jamais bu de Veuve-Clicquot, ce n’est pas sérieux. Sur la photo, on ne voit pas toute la volonté que ce garçon dégage. On peut d’ailleurs se demander s’il n’a pas été engagé pour ça, cet air, là. Avec un challenge extrême à la clé. Remplacer l’idole des vignes, Jacques Peters, son prédécesseur. Depuis la création de la Maison en 1772, ils n’ont été que dix à cette place. Ils se sont transmis la définition du « style maison », l’autre façon de faire comprendre au public qu’il n’y a pas deux champagne identiques. Et Jacques Peters a transmis à Dominique Demarville. Et ni l’un ni l’autre ne diront jamais de quoi est fait ce style Clicquot. Ils réciteront la petite chanson qui fait une réponse, jamais à l’abri d’un superlatif inutile, ils parleront de fraîcheur, d’arômes, de longueur. La péroraison nous emmènera vers des cieux toujours bleus. Préférons l’avis de Michel Bettane sur ce sujet (ci-contre). Vite, on parlera d’autre chose. Pas de chiffres, non, c’est secret-défense dans les Maisons du groupe LVMH. Nous savons bien que ce sont de gros volumes à destination de la planète toute entière. Et bravo pour ça, le genre de bonne nouvelle agréable à entendre ces jours-ci. Par exemple, parlons de Jacques Peters, c’était dur de prendre sa suite ? Dominique est un garçon très arrondi, il dit tous les bonheurs du monde.
Jacques Peters a eu du mal à partir. Combien de fois a-t-on fêté son départ. On imagine très bien la difficulté pour son successeur, le frein rongé, les bouffées d’impatience. C’est le problème avec les icônes. Mick Jagger, c’est pareil. Et puis Jacques est parti pour de vrai. Dominique préfère parler de lui, il a raison, c’est lui qu’on rencontre. Ce côté concentré, précis, travailleur, sérieux. Vite, il est convaincant, crédible. Touchant, même. Il n’est pas un chef de caves mondain, on n’en connaît pas beaucoup, cela dit. Depuis l’époque où il faisait la même chose chez Mumm, il n’a pas changé, pas vraiment, un peu d’épaisseur dans le regard, le geste, des épaules, pas plus. L’homme est le même. Nous, forcément, on adore ce genre d’authenticité, les journalistes sont comme ça, les petits malins nous ennuient. Demarville ne nous dira pas la V.O., il parlera de lui, simplement, sans jouer à la grenouille et au bœuf. Il dit : « Je m’applique à faire vivre le mot de Madame Clicquot, “une seule qualité, la première”, en adaptant le style de la Maison, et cette exigence, aux attentes nouvelles du consommateur ». Alors, Dominique des nouveautés ? « C’est secret, mais nous préparons des choses ». Passons. Le vin que vous pourriez boire à genoux sur une règle en fer ? « Le sauternes ». Pas drôle, nous aussi. Au fil de la conversation, nous conviendrons que nous sommes d’accord sur à peu près tout, le bourgogne, la curiosité, les grands rhônes, la pêche au lancer. Son goût pour le groupe Abba et JJ Goldman est tout ce qui nous sépare. Il fallait quelque chose.

La photo : Dominique Demarville photographié par Mathieu Garçon aux Crayères, à Reims

mercredi 22 septembre 2010

71 000


C’est, en euros, le score de la vente aux enchères dont nous parlions il y a quelques jours, alors que nous attendions un difficile 50 000 euros. La Part des anges, à Cognac. 650 personnes, un grand nombre de nationalités. Des journalistes du monde entier, des jolies filles, une ambiance parfaite, un lieu épatant. Les chais Monnet ont été acquis par la commune et font l’objet d’un projet de réaménagement avec tous les stigmates de la modernité (appart’hôtel, centre commercial, sûrement un spa…) et là, on peut craindre le pire. Cet immense bazar mérite mieux que d’être livré au petit commerce, mais bon. Battons des mains devant le niveau de l’organisation qui a permis le succès de cette vente (oui, bravo Jérôme). Et, au passage, enthousiasmons-nous pour le traiteur qui a servi 650 personnes sans traîner avec une qualité gastronomique jamais vue dans de telles assemblées. Il y a des gens très bien à Cognac, décidément.

La photo : cette bouteille de Rémy Martin a fait la plus belle enchère de la soirée à 16 000 euros

vendredi 10 septembre 2010

Les pattes en rond


Dans un restaurant thaï du faubourg, Bérénice Lurton recevait pour son château-climens, le premier grand cru classé de Barsac unanimement reconnu comme le vrai dauphin d’yquem. Après un rapide passage par le second vin, les cyprès-de-climens, un barsac léger et spirituel, le dîner exotique a vu défiler des climens 07, 05, 02, 89 et 71. Chaque vin arrivait avec sa nuance de densité colorielle supplémentaire, un vrai pantone. Bien sûr, le grand amoureux des liquoreux que je suis s’est littéralement vautré dans les deux plus vieux millésimes, merveilles aux éclats d’acajou, l’idée qu’on boit un Riva des sixties, une liqueur enveloppante comme une couette enroulée sur vos épaules (ou un châle Hermès, c’est comme vous préférez), à ceci près qu’on ne s’y endort pas, la fraîcheur des finales de ces vins d’exception vous rappelant à l’ordre, et à la vie, un grand bordeaux liquoreux, c’est comme les mots de votre amoureuse, très vite, c’est indispensable à une bonne respiration, à une existence équilibrée. On ne dira jamais assez la pureté, la longueur, la richesse aromatique de ces vins hors normes. Pour les rendre encore plus purs, Bérénice Lurton s’est lancé dans la grande aventure de la biodynamie. Déjà, faire du sauternes ou du barsac est un sacerdoce véritable, une complication inconnue ailleurs, mais les faire en biodynamie est une vraie gageure dont il semble qu’elle va se sortir avec les honneurs (et avec un directeur technique de qualité), on en saura plus dans six semaines, après les vendanges. La question est : que va dire le botrytis ? J’adore ou je me tire ? L’autre question concerne le choix des accords barsac-cuisine thaïe. Dans une stratégie de reconquête urgente des consommateurs nationaux, cette cuisine d’ailleurs est-elle un bon vecteur ? Ne serait-il pas plus opportun d’expliquer à nos contemporains que le sauternes, le barsac, va très bien avec des huîtres chaudes, un poulet de Bresse avec des grenailles, un stilton, quelques beaux fruits ? Bref, le genre de gastronomie que tout le monde connaît et aime, sur laquelle il n’y a pas de discussion. C’est comme ça que nous en parlerons le mieux. Et, pour finir de convaincre le consommateur soupçonneux que vous êtes, rappelons que les bordeaux liquoreux sont les moins chers des grands bordeaux.

jeudi 9 septembre 2010

Un soir chic


Hier, belle dégustation de vins de la côte chalonnaise. Rappel : la côte chalonnaise, c’est la suite géographique de la côte de Beaune, en descendant vers le sud. Les appellations qui la composent sont : Mercurey, Rully, Givry, Bouzeron, Montagny.
La dizaine de producteurs présents dans les murs historiques de la Questure du Sénat hier représentent la crème de ces appellations, c’est du beau linge. La haute stature d'Aubert de Villaine pour son domaine personnel à Bouzeron, l'œil pétilllant de Bernard Hervet pour les mercureys de Faiveley, la bonne humeur de Paul Jacqueson et ses rullys splendides, la famille Devillard (la belle Aurore, son papa, sa belle-sœur) pour ses mercureys et ses givrys, la famille Pascal (madame, monsieur, le grand fils, sa fiancée) nouvelle venue à Givry avec son merveilleux Clos du cellier aux moines, etc.
Il flottait une ambiance chic que chacun affectait de trouver normale, tout le monde attendait Michel Bettane, l’attachée de presse Annie Ligen avait les yeux qui brillaient, les petits fours étaient exquis, de longues filles en jupes courtes et un peu pompettes fumaient des cigarettes sur les marches, David Cobbold distribuait des sourires bienveillants aux producteurs inquiets, Philippe Bourguignon tout bronzé a tout goûté, les costumes des garçons étaient bien coupés, des journalistes japonaises couraient dans les jambes des convives et chacun se félicitait de voir les Bourguignons organiser un truc parfait à Paris. On aurait presque pu dîner tous ensemble. On aurait bu leurs vins en se désolant que la côte chalonnaise soit aussi méconnue, comme ils disent, et puis nous aurions parlé d’autre chose.
Moi, je ne crois pas qu’elle soit à ce point méconnue, cette côte. Les prix des bourgognes d’appellations plus prestigieuses sont tels que les restaurants parisiens ont tous un rully, un mercurey, un givry à la carte. Pour le commun des amateurs que nous sommes, c’est une (relative) aubaine. On n’est jamais vraiment déçu par un beau givry, un mercurey bien fait et, à la fin, le public se familiarise bon gré, mal gré avec ces appellations-là. La bonne nouvelle, c’est que, ici comme ailleurs, on sent le vigneron (aiguillonné par le néo-vigneron) en pleine tension qualitative. Moi, le haut niveau, ça m’enchante.

La photo : Aurore Devillard, photographiée par Mathieu Garçon

mercredi 8 septembre 2010

Pierre Seillan, le Gascon à 100 points


Du Gascon, il a le format, aussi large que haut, la rocaille dans l’accent, le parler clair, sans détour, sans concession, sans complaisance et ce côté bourru dont on sait tous que ça cache un grand cœur. Qu’il a. Un côté c’est-moi-qui-vous-le-dit adorable et imparable. Du coup, on l’écoute attentivement. Il parle des heures si l’on n’y prend garde. De tout. De son histoire familiale, la polyculture dans le Gers, « on avait tous un arpent de vigne ou deux, c’était normal ». De ses débuts dans le Bordelais, de sa rencontre avec l’homme de sa vie, Jess Jackson, milliardaire, Américain, un patronyme de cinoche, beau comme un John Wayne, 5 000 hectares de vignes en Californie. Du vignoble de la Sonoma, la vallée voisine de la Napa. De Vérité, la marque créée là il y a dix ans autour de trois vins. La Joie, La Muse et Le Désir, fallait oser. Mais il ne parle pas des 100 points (le top) récoltés chez Robert Parker pour son millésime 2007 de La Joie. Non, il faut vraiment aller le chercher, il en parlera alors comme à regret. Pas l’habitude des honneurs, cet homme-là. Il ne sait pas, ou affecte de ne pas savoir, pourquoi ce vin est soudain au centre de l’attention mondiale. Lui, Pierre Seillan le Gersois, il a toujours fait du mieux qu’il pouvait. Mais là, il faut croire que « le terroir a parlé ». Plus fort, plus haut, plus clair qu’avant, sans doute. Et voilà un vin que les grands amateurs s’arrachent. Du coup, les cours explosent. 850 dollars la bouteille. Même les premiers de Bordeaux s’étranglent, pris de court par ces prix stratosphériques. Pierre Seillan n’en fait même pas état, ce n’est pas lui qui nous a parlé du prix des vins, lui il enchaîne sur « les droits du sol », ce qui fait lever un sourcil circonflexe au journaliste français, baigné dans le débat sur l’identité nationale.
Au fond, Pierre Seillan est un grand amoureux de la plante et de la pédologie. Il a des cépages préférés. Les grands internationaux bordelais, cabernets sauvignon et franc, merlot, petit-verdot, malbec. Il ne calcule pas les pinots et les chardonnays. Grand homme des vignobles d’exception de Jess Jackson, il s’occupe aussi de Lassègue à Saint-Emilion et de la Tenuta d’Arceno en Toscane. Là, on sent qu’il a fallu lui tordre un bras dans le dos pour qu’il consente à faire un 100% san-giovese, il s’exprime davantage sur ses assemblages de super-toscans. C’est aussi cette grosse mauvaise foi, ce chauvinisme débordant qui le rend si sympathique, si émouvant. Question : « Y a-t-il une vie après les 100 points Parker ? ». Réponse : « Eh ! Il y en avait une avant ». Ben oui, bien sûr.
Parmi les dizaines d’hectares qu’il a planté pour Vérité, tout n’est pas encore à maturité, ce sont encore de jeunes vignes au regard de son exigence. Un jour viendra, quelques années encore où Vérité aura ses vignes dédiées. En attendant, Pierre Seillan fait ses vins à concours comme les Champenois font leurs grandes cuvées. Il choisit, on devrait dire qu’il picore, quelques grappes ici, toute une micro-parcelle là. En tout, ce sont 150 sources d’approvisionnement différentes, toutes issues des vignobles Jackson, évidemment. Le très grand avantage des Californiens sur les Français, c’est qu’il n’y a pas de règle, ou presque pas. Un exemple ? Qu’il fasse une canicule effroyable et on irrigue. En France, on prie le ciel. « Je n’irrigue pas, j’humidifie » précise l’homme de l’art. OK, Mister Pierre.

La photo : Pierre Seillan, photographié par Mathieu Garçon dans les vignes de la Sonoma

Paix & miroir, c'est bien non ?


L’Espagne, c'est comme l'Italie. Quand ils s'y mettent, ils frappent très forts dans nos cœurs, dans nos âmes, dans nos verres. L'Espagne, donc. Alonso en F1, Pedrosa (motoGP) est le meilleur ennemi de Valentino Rossi, les footballeurs cartonnent en Afsud, Nadal sur les courts et, maintenant, Paz Espejo à Bordeaux. Elle a de la chance, elle le dit elle-même. A peine arrivée à Meyney, elle fait un 2005 d’anthologie, pas plus tôt installée à Lanessan dans le Haut-Médoc que voici le grand millésime 2009. Deux grands vins, c’est sûr. Castillane de Madrid, Paz a un parcours chaotique dans le vignoble mondial. Elle a commencé comme flying wine-maker - elle n’aime ni le mot, ni le métier - dans la Rioja et la Mancha, puis en Toscane et en Argentine. Pour elle, les vrais débuts coïncident avec son arrivée chez Calvet, puis chez Cordier. « C’est là que j’ai appris la réalité de ce métier qui consiste d’abord à appréhender les qualités d’un marché, ses consommateurs et à faire les vins qui leur correspondent », dit-elle avec autant de lucidité que d’honnêteté. Elle qui lit beaucoup et qui écoute le blues et la soul U.S. des années 60 et 70, quand ce n’est pas Air ou Phénix, est capable d’une réflexion approfondie sur ce qu’elle entreprend. Elle sait aussi qu’elle a beaucoup à prouver. Elle est sympathique, enthousiaste, tonique, mais est-ce facile d’être une Espagnole à Bordeaux ? « On me fait confiance parce que je donne beaucoup, parce que j’explique beaucoup. Pour moi, c’est ça l’intégration, cette réciprocité qui rend tout possible ». En attendant ce tout qui fait rêver, elle s’est attachée aux domaines Bouteiller, dont elle assure désormais la direction. Parmi les propriétés de la famille, il y a Lanessan dont elle veut faire « une valeur sûre, le reflet d’un terroir et un vin bon tous les ans ». Dés son premier millésime, 2009, elle frappe fort et récolte les bonnes notes dont un 16,5 - 17 assorti d’un bravo par Bettane & Desseauve qui salue le retour de Lanessan dans la cour des grands. Vive la paix.

La photo : Paz Espejo, photographiée par Mathieu Garçon