Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 30 juillet 2012

Bouchon liège ou capsule à vis,
le vent tourne


Petit effet de balancier dans le ciel controversé des techniques de bouchage des bouteilles de vin. Les Anciens et les Modernes s’affrontent sur les mérites respectifs du bouchon liège et de la capsule à vis. S’agissant de vin, les choses prennent comme toujours un tour dogmatique. Les partisans de l’un ou de l’autre n’écoutent plus personne et sont prêts à toutes les outrances de langage. Ce qui rend le débat spécialement imbuvable.
Et voilà que la maison Amorim, gros producteur de bouchons en liège de nos forêts, balance un communiqué pour se vanter d’une petite victoire. Un vigneron de la Barossa Valley en Australie, qui bouchait avec des capsules à vis depuis cinq ans, revient dans le camp des liégeux. Amorim explique pourquoi : « Les causes de ce revirement sont prioritairement le caractère de réduction observé sur les vins bouchés avec capsule et les variations d'une bouteille à l'autre » et de conclure que tout ceci n’arrive pas avec des bouchons liège. Ce qui est nettement exagéré. Quiconque a ouvert plus de douze bouteilles dans sa vie, sait bien que les variations d’une bouteille à l’autre sont monnaie courante. Au point qu’il y en a pour dire qu’au bout de quinze ans, il n’y a plus de grands vins, il n’y a que de grandes bouteilles. Déclaration à laquelle je souscris, d’expérience.
Si j’étais vigneron, je réserverais les bouchons liège aux vins de garde et les capsules à vis et bouchons synthétiques aux vins à boire dans les deux ans. Comme je ne le suis pas, je me contente de dire qu’il n’y a pas plus belle promesse à mes oreilles que le plop du bouchon et pas de plus grand désespoir qu’une bouteille bouchonnée qu’on a tant attendue.

Champagne, le road-trip
(vous n'irez pas, vous devriez)

L'austère et crayeuse campagne champenoise

Reims. On est si vite arrivé. À peine le temps d’en finir avec votre quotidien d’élection que vous voilà propulsé sur la place de la gare. Un joli tour dans le vignoble champenois commence forcément par tenter d’épuiser les beautés de la ville des sacres, des rois. Dans cette très ancienne capitale mérovingienne, quinze siècles plus tard, le visiteur ne saurait être indifférent aux beautés de la cathédrale, ses 2 300 statues, cette histoire qui tient tellement au cœur des Rémois que les plus généreux d’entre eux en ont fait une destination pour leurs dons. Il faut dire qu’on n’en finit pas de panser les plaies des bombardements allemands de la guerre de 14-18. Les travaux de restauration pourtant entrepris dès 1919 durent encore.

Chez Pommery, à Reims

Les crayères
Avant d’aller déjeuner, on choisira de plonger au centre de la terre par l’entremise de l’un ou l’autre des réseaux de crayères. Et là, ce n’est plus le souvenir des Mérovingiens qu’on y célèbre, mais celui de la tribu des Rèmes. Ils ont creusé des sortes de puits tronconiques s’évasant sous terre à partir de l’ouverture pratiquée en surface et appelée « essor ». De cette belle craie, ils ont tiré des moellons qui constituaient les soubassements des maisons de ce qui allait devenir Reims. Vite abandonnées, on en retrouvait l’utilité en cas d’invasion de Huns ou de Goths, pour se protéger des vicissitudes propres à ces époques incertaines. Cinq grandes maisons de Champagne en possèdent aujourd’hui et proposent de les visiter. Pommery et ses bâtiments élisabéthains, Ruinart, Taittinger, Veuve-Clicquot, Martel. Sans aller jusqu’à qualifier ces réseaux souterrains de ville sous la ville, il faut reconnaître l’intérêt crucial que ses grottes immenses, humides et fraîches constituent pour la conservation du champagne. Mais certaines reçoivent des expositions d’art contemporain, d’autres baignent dans l’humidité providentielle, toutes affichent des températures idéales par temps chaud, autour de 10-12°C. Pas moins d’un milliard de bouteilles attendent leur heure dans les caves et les crayères de Champagne. Et puisqu’on y est, sur cette même butte Saint-Nicaise, on ne rate pas la visite de la très joliment restaurée Villa Demoiselle, sommet du genre anglo-normand, dont chaque détail est une œuvre d’art en même temps qu’un tour de force, mené de main de maître par Nathalie et Paul-François Vranken, propriétaires du champagne éponyme et des champagnes Pommery, avec ces incroyables bâtiments élisabéthains, aut-lieu historique du champagne et sanctuaire ultra-moderne de l’art contemporain, de l’autre côté de la rue.

Les Crayères
À table. On hésitera longuement entre les charmes de L’Assiette champenoise, le restaurant mené par le jeune chef-propriétaire Arnaud Lallement et ceux des Crayères, justement, le Relais & Châteaux propriété du groupe Gardinier (Taillevent à Paris et Phélan-Ségur à Saint-Estèphe). Les deux ont deux étoiles au Michelin. Et puis, le vaste parc et ses beaux arbres, le choix entre gourmand et gourmet, la réputation du chef Philippe Mille et du sommelier Philippe Jamesse, tout ça l’emporte. C’est là, au gastronomique Le Parc ou au bistronomique Le Jardin que vos pas vous portent. Bonne pioche.

L'orangerie de Moët & Chandon, à Épernay

On ze road again
Vers le milieu de l’après-midi, quand la lumière baisse un peu, en route pour Épernay. Traverser la montagne de Reims à l’assaut des coteaux, s’enfoncer dans la forêt avant de redescendre vers la Marne, bon fleuve un peu mou, c’est lui le responsable des équilibres climatiques pour l’instant. Au passage, à Mareuil-sur-Aÿ, on admirera le reflet du Clos des Goisses dans les eaux calmes de la rivière. La colline et son reflet forment une très parfaite bouteille de champagne et la maison Philipponnat, propriétaire de ce clos en avait fait, quelques temps, une vieille histoire, l’image de ses réclames. Sur les routes étroites, de belles autos. Se souvenir que la région est riche. Un hectare de vigne rapporte à son propriétaire entre 50 000 et 70 000 euros par an, minimum. Il fût un temps où la maison Moët & Chandon incitait ses ouvriers et collaborateurs de toutes sortes à acheter de la vigne, puis à signer un contrat avec la maison. L’idée était de sécuriser les apports de raisin. Cette idée a fait la fortune, récente, de ces familles, revenu et patrimoine. À un million d’euros minimum l’hectare de vigne, il n’y a pas de chiffres après la virgule, les calculs sont simples et le concessionnaire Mercedes dit merci.
Cumières, Bouzy, les villages défilent, le pays des pinots à vins rouges, la grande époque du bouzy a passé dans les brasseries parisiennes et puis, comment vendre une bouteille de rouge plutôt classique au prix d’une bouteille de champagne ? Aujourd’hui, le vin rouge de Champagne entre dans l’assemblage du rosé, mais des coteaux-champenois, on en voit, on en boit, de moins en moins. Ou alors c’est un sommet du genre, production confidentielle pour quelques initiés qui, à 50 euros la bouteille, se disent que c’est encore une affaire quand on voit les prix des grands crus bourguignons. La maison Egly-Ouriet a, sans doute, du mérite, mais elle est très seule.
Voilà Épernay, la cossue, la quiète petite ville de province, au cœur du vignoble champenois. L’avenue de Champagne, les beaux hôtels particuliers des grandes marques, tous restaurés sans barguigner, feront les délices des amateurs d’Histoire en pierre. Oui, un fort contingent de l’aristocratie à bulles est là, les autres n’ont pas quitté Reims.

Chez Selosse
L’étape du soir est une nouveauté. Il y a quelques mois, le célèbre Anselme Selosse, bien connu pour l’excellence de ses champagnes de la côte des Blancs, a décidé d’ouvrir un restaurant agrémenté de quelques chambres. Comme l’affaire se passe à Avize, l’endroit s’appelle Les Avisés, ah, ah, ah. Il a bien fait, ce monsieur Selosse, la Champagne est un désert hôtelier et son refuge est agréable.

L'austère Champagne
En Champagne, une chose vous frappe d’abord. L’austérité des paysages couverts de vignes dans des proportions qui paraissent exagérées. Pour que le décor devienne un peu plus riant, varié, il faut descendre vers le sud, comme souvent, et quitter la Marne. Passer Troyes, direction l’Aube, la côte des Bar. La Champagne, le champagne, ne seraient rien sans les raisins de l’Aube. Ici, c’est le royaume du pinot meunier qui entre dans presque tous les assemblages, qui garantit les volumes importants dont le monde a besoin. Retrouver un peu de ce qui fait la légende des paysages français, la polyculture. Aujourd’hui, on dit plutôt bio-diversité. Et, comme de juste, s’arrêter chez Fleury, l’un des très rares producteurs de champagne bio et le pionnier de ce retour aux sources de la viticulture. Encore mieux, ce qu’il fait est bon. Aller voir les Drappier, père et fils. André, le père, a laissé le volant à Michel, le fils. C’est un garçon sérieux – il est Commandeur de l’Ordre des coteaux de Champagne, mais créatif. Cuvées sans sucre, sans soufre, assemblage de cépages rares, millésimé somptueux, on se souvient que le général De Gaulle, un voisin, aimait ce champagne et en avait fait son champagne personnel, celui de Colombey-les-Deux-Églises. Ce n’était que quelques cols, mais l’honneur était là, qui dure. En suivant la Seine, on arrive dans un bel endroit, un beau parc, c’est le siège de la très puissante Union Auboise, un rassemblement de producteurs mené de main de maître par Laurent Gillet, son habile président. Là, son épouse Marie a restauré une jolie maison bordée par la rivière, on est heureux d’y être, c’est énorme. Bien sûr, l’endroit est fait pour y découvrir les gammes des champagnes Devaux, le non-dosé ne se discute pas.

Une cave champenoise, chez Morize aux Riceys

Les Riceys, c'est ravissant
Et vous ne devez pas manquer les Riceys, trois villages ravissants, dédiés au vignoble. Comme si c’était le but de toute cette promenade. C’est là que l’on produit le rosé des Riceys, le chouchou des grands amateurs. Pourtant, ils ont beaucoup plus de mal à le vendre que le champagne. On se demande pourquoi. Aux Riceys, une vingtaine de vignerons a choisi de continuer à produire ce vin rare. Ensemble, ils proposent 60 000 bouteilles, c’est très peu. Ces rosés admirables et forts en couleur (on n’est pas à Saint-Tropez) vieillissent bien et longtemps dans les caves millénaires, immenses et profondes dont sont dotées toutes les maisons du bourg, un rêve pour l’amateur à un point tel qu’on en est presque à chercher l’agent immobilier qui nous mettrait sur la piste d’une jolie maison – avec cave – où installer nos trésors de flacons, au milieu d’une belle campagne à 90 minutes seulement de Paris. Là, un hôtel agréable dans sa configuration d’un classicisme gentiment désuet accueillera le voyageur avec cet air étonné et un peu rigide propre aux endroits peu fréquentés. Rien de grave, on a vu pire.

L'abbaye d'Hautvillers, chère à Dom Pierre Pérignon

L'adorable Champagne
Pourtant, la Champagne n’est pas à proprement parler une destination touristique. Très peu d’hôtels, de restaurants, une campagne comme on n’en fait plus. Il faut aimer le vin et ses paysages civilisés pour comprendre ce qu’on y fait. Mais la Champagne est adorable à tous égards. Il y a dans l’organisation champenoise quelque chose de très rare qui devrait passionner le touriste moderne, féru d’ethnologie sociale et curieux de tout. La prospérité apportée par l’engouement mondial dont bénéficie le champagne est également partagée par tous les acteurs de la filière. Le petit vigneron, bien représenté, celui qui vend son raisin, est traité avec infiniment d’égards par les grandes maisons de négoce, l’approvisionnement est l’enjeu. On l’emmène en croisière, voir les autos des Grands Prix, au Festival de Cannes, on le choie. Ceux qui embouteillent à leur marque, ce qu’il est convenu d’appeler du « champagne de vigneron », vivent très bien de leur terre. Les grandes maisons font des affaires en or tout autour de la planète qui consomme la bagatelle de 300 millions de bouteilles par an, dont la moitié pour la seule France, pas mal. Tout le monde est content. Bien sûr, il a fallu du temps pour arriver à ce bel angélisme. Il a fallu des émeutes et des violences, des morts et des gendarmes, on se souvient des drames de 1911, mais 1911 est loin et le résultat est là, il est convaincant. La Champagne, riche et tranquille, assoupie sous le soleil d’été, vous gagnera très vite. La sérénité qui s’en dégage, c’est l’avantage de ces contrées à peu près désertes et si calmes. Très contagieux, ça.


Pour en savoir un peu plus sur les Riceys et leur admirable vin rosé, cliquez ici

L'autre voyage que vous ne ferez pas (vous devriez, pourtant), ici

Les photos : le vignoble et la cave sont signés Mathieu Garçon, les autres sont de diverses provenances (D.R.). Cet article est paru sous une forme et sous un titre différents dans la livraison de juillet de Série limitée - Les Échos

vendredi 27 juillet 2012

Une bonne bière, une bonne blague


La scène se passe dans les rayons des cavistes néo-zélandais. Pour promouvoir sa bière, une marque locale a trouvé une idée drôle et bien exécutée, avec ce qu'il faut d'insolence et, même, de cruauté : se moquer du vin et des buveurs de vin. Bien ancrée dans l’âme anglo-saxonne, l’idée que le vin est réservé à une certaine catégorie de snobs, de précieux et, très vite, de ridicules. C’est cette corde que les créatifs de l’agence de pub ont pincé, c’est bien joué.

Au beau milieu de la boutique du caviste, un présentoir garni des bouteilles en photo ci-dessus. Cliquez sur l’image pour l’agrandir, sinon on n’y voit rien. Ils sont drôles, mais bon, les créatifs de l’agence ont juste oublié que le doré n’est pas photographiable. On ne peut pas être bon partout. On devrait.

Qu’est-ce qu’on peut y lire ?

- Sur l’étiquette principale, de haut en bas :
Château Crapio (en français : Château Dégueu)
You don’t have to do this (Vous n’êtes pas obligés de boire ça)
2012 (le millésime de l’année… prochaine)
Monsieur Bignosé (Big nose : gros nez)
Some valley in France (Coin perdu en France)
Product de foreign (moquerie pour dire étranger)
L’illustration montre un petit château dont l’aile droite a l’air en flammes.

Voilà pour l’ambiance, ce qu'on appelle le teaser. Pour la révélation, tournez la bouteille.

- Sur la contre-étiquette, de haut en bas
OK, don’t panic (Pas de panique)
You’re in the wrong section (vous vous êtes trompé de rayon)
Just keep reading (continuez à lire)
Premier paragraphe :
Les gens vont penser que vous êtes en train d’étudier les nuances des arômes de groseille à maquereau ou quelque chose comme ça. Nous allons vous sortir de là avec une bonne bière, la DB Export Dry. Croquante, rafraîchissante et pleine de saveurs, Export Dry est une bière raffinée à boire en toute occasion. Spécialement dans un cas comme celui-là.
Deuxième paragraphe :
Voilà ce que vous allez faire. Hochez la tête et grattez-vous le menton. Prenez la bouteille en main et dites calmement : « Excellent ». Allez directement à la caisse, cette bouteille va être scannée et une réduction de cinq dollars appliquée sur votre carton d’Export dry. Bon, allez-y.

Et voilà comment on vend de la bière en se moquant de l’imagerie et du langage du monde du vin, et de l’érudition supposée nécessaire pour choisir un vin. Il paraît que ça marche à fond pour le plus grand bénéfice de cette bière.
Il n'y a plus qu'à renvoyer l'ascenseur.

lundi 23 juillet 2012

L'antenne de l'Hermitage : Big bang ou pschitt ?


Pour autant qu’on puisse en juger de loin, les choses ont trouvé un cours normal de négociation. Dans l’attente du recours déposé par le syndicat des viticulteurs, une conversation intelligente s’est installée entre l’opérateur TNT ItasTim et ses opposants. Des solutions sont à l’étude pour une implantation sur un autre terrain aux spécifications identiques. On sent comme une poussée de bonne volonté, on respire.
Le syndicat des viticulteurs a abandonné cette idée étrange d’échanger les murs publicitaires historiques contre l’antenne. La proposition de Michel Chapoutier, aussi président du syndicat, ne concernait que les murs qui ne sont pas des murs de soutien. Pour info, Jaboulet, le concurrent de toujours de Chapoutier, n’a que des murs publicitaires quand Chapoutier a des murs de soutien et des murs publicitaires.
En revanche, attirée par le bruit, une ONG appelée Next-Up s’est penchée sur la colline de l’Hermitage et a levé un gros lapin. Selon eux, Chapoutier abriterait sur le toit de l’une de ses maisons dite Tour carrée une ou plusieurs antennes clandestines camouflées dans des ajouts récents en forme de cheminées en fibre de verre (!). Bien entendu, Michel Chapoutier s'est insurgé devant le propos. On le comprend. Mais voilà, les gens de Next-Up sont spécialisés dans les radiations dangereuses et ils affirment détenir des preuves. Dans ces cas-là, on demande à voir.
S’en suit un long courrier très documenté, très précis, dont je ne donne à lire qu’un extrait, édifiant :

« Néanmoins l’autre pollution la plus importante du coteau de l’Hermitage est issue de la station d’antennes relais (camouflées) de SFR, elle se situe sur la Tour Carrée appelée aussi Maison Blanche ou Maison de l’Ermite ou Pavillon de Chantalouette (assise foncière section A 68), le nom du propriétaire, donc du bailleur, c’est-à-dire celui qui perçoit les loyers, est sic : "Groupement Foncier Agricole Chapoutier". En ce qui concerne l’autorisation d’implantation de l’ensemble de cette puissante BST de SFR (toutes les antennes, toutes les fréquences et Répéteur Hertzien inclus) les documents officiels stipulent clairement la date du, sic : "27 Juin 2011". En ce qui concerne l’urbanisme l’organisation ne possède pas encore à ce jour les documents officiels au nom du GFA Chapoutier qui ont permis de transformer le frontal de la construction d’origine en deux fausses cheminées carrées en fibre de verre, dans quelques jours nous espérons y voir plus clair sur ces transformations (ac/ABF).
Ceci étant si les documents officiels comportent des inexactitudes, ce que Michel Chapoutier laisse sous-entendre dans ses déclarations, nous procèderons aux rectifications qui s’imposent et nous le ferons savoir. Next-up organisation ne cache rien, tout est transparent, l’ensemble des parties concernées, sont informées en direct depuis le début de cette affaire, Michel Chapoutier et médias inclus. Autre point de la problématique, en corrélation avec l’irradiation par les Champs ÉlectroMagnétiques artificiels Hautes Fréquences micro-ondes issue des antennes, il existe une autre pollution qui impacte la flore et dans le cas du coteau de l’Hermitage donc les ceps de vigne (photosynthèse et réactions chimiques) ainsi que les qualités organoleptiques du raisin (la molécule d'eau contenue dans la pulpe représente environ 75 % de la rafle). Next-up organisation diffusera prochainement un dossier détaillé sur ce sujet très pointu. Être positif afin de ne pas impacter la filière : La polémique est stérile et contre-productive, Next-up organisation n’a qu’un souhait, c’est que Michel Chapoutier en homme averti mette maintenant en adéquation ses paroles avec des actes forts afin d’assainir en totalité le coteau d’Hermitage de toutes pollutions visuelles et irradiantes. »


Et ceci est suivi d’une invitation à débattre lancée à Michel Chapoutier par Next-Up.
Il va de soi qu’à ce niveau d’accusation, nous attendons tous les explications de Michel Chapoutier et le dossier « très pointu » sur la pollution des vignes que promet l’ONG Next-Up.
Comme quoi, ce ne sont pas trois vieux murs chargés d’Histoire de la maison Jaboulet qui vont régler une affaire qui prend une ampleur insoupçonnée. C’était un écran de fumée vite dissipé et le petit coup de « passe à ton voisin » n’a pas marché même si, à un moment donné, dans le feu de l’émotion naissante, il a pu abuser tel ou tel blogueur.
Je suis content de rendre ici hommage à Caroline Frey qui a alerté les medias sur cette implantation d’antenne dont le syndicat ne s’occupait pas du tout. On commence à comprendre pourquoi…

Plus que jamais, il est urgent de signer la pétition mise en place par Vincent Pousson. Plus de 1 300 personnes l’ont déjà fait. Vous pouvez signer en cliquant ici. L’été, ses mollesses, n’aura pas raison de notre motivation.

Vous pouvez consulter l’intégrale de la lettre ouverte de Next-Up à Michel Chapoutier ici. Tous les détails de l’affaire ici, ici et .

La photo montre clairement la position de l'antenne installée il y a quelques années, juste derrière la chapelle de l'Hermitage, monument historique, et en complète contravention avec les règles édictées par les Bâtiments de France (500 mètres minimum). Cette antenne est appelée à rejoindre la nouvelle, ailleurs. (Photo D.R.)

Michel Rolland et Jean-Claude Ellena,
dégustation à quatre mains


Après les échanges généraux sur les arômes et les saveurs, place à la dégustation, place aux travaux pratiques. Autour de trois vins de Michel Rolland dans trois millésimes. Deux pomerols, le sien et l'un de ceux de Catherine Péré-Vergé, et un toro, vin espagnol des bords du Duero. Bonne occasion pour se dire encore des tas de choses.

POMEROL, CHÂTEAU BON PASTEUR 2007


J.-C.E. : Evidemment avant de le boire, je sens le vin, je trouve là un peu d’épices, la vanille, un léger cuir, et le bois de chêne, ce sont les odeurs premières qui m’atteignent. On est sur un profil classique, c’est un vin qui offre des sensations qui me sont familières, confortables, qui me rassurent. On peut voyager ensemble pendant quelques heures. Par rapport à mes conceptions de parfumeur, nous sommes là dans un bon concerto, on va faire tranquillement du Rachmaninov.
M.R. : C’est un vin encore un peu jeune où subsistent en effet des notes vanillées, légèrement fumées, qui ne sont pas péjoratives, mais logiques à ce stade. Si, à ses débuts, un vin qui a grandi dans le bois neuf pendant son élaboration n’en a pas le goût, il faut faire un procès au tonnelier ! C’est nécessaire, parce que les vins n’atteignent une certaine complexité que par le passage dans le bois. On n’a jamais vu de grands vins rouges se priver de ce séjour. Il est là à son équilibre harmonieux et il ne faudra pas m’en vouloir si, comme je l’ai précisé, on ne peut plus le boire dans vingt ans !

Le vocabulaire des odeurs, des arômes, n’est-il pas trop étroit ?
Doit-il s’élargir ?
J.-C.E. :
C’est nécessaire. Pour aborder les odeurs, les parfums, il faut disposer de toutes les interprétations possible, avoir le discours le plus ouvert et ne pas l’enfermer dans un système. Les parfumeurs ont classé les parfums, avec par exemple des notes fleuries, boisées… C’est ennuyeux, ça ne parle à personne, sauf aux spécialistes qui se rassurent, je lutte contre ça. Le mot vert fait exception, il y a une relation directe entre les formes d’odeur de la famille végétale, sa couleur, et les images évoquées, mais c’est le seul moment où ça marche. Pour le reste, c’est la puissance de la métaphore qui s’exerce.

Et la dégustation à l’aveugle ?
M.R. :
Je ne suis pas un farouche défenseur de ce procédé, mais c’est cependant un moyen pour les professionnels de se recadrer. En effet, on ne peut pas échapper à ses propres tendances gustatives, qui entraînent dans des directions familières, donc je pratique ce procédé par vigilance.
J.-C.E. : En tant que professionnel, j’ai besoin de retrouver les repères de l’outil, mais il n’a rien à voir avec la partie créative qui prend sa source dans l’imaginaire. Ce sont deux mondes indépendants et je crois que, pour celui qui déguste, la seule chose qui compte c’est l’imaginaire. Avec les présentations de parfums à l’aveugle, on veut vous faire croire que vous êtes objectifs, c’est un vœu pieu. Vous dépendez de votre culture, de vos références imaginaires, du parfum que portait votre mère quand vous étiez enfant, donc l’objectivité n’existe pas.

TORO, CAMPO ELISEO 2004

M.R. :
Ce vin espagnol de la région de Toro naît sur les bords du Duero, qui devient au Portugal le Douro, celui des portos. C’est fait avec le cépage tempranillo, et seulement celui-là. Ce vin va vieillir, sa structure l’annonce, il est musclé, c’est sa nature.
J.-C.E. : Ca sent le soleil, le récit est plus court, on affirme nettement quelque chose, nous sommes presque dans l’ordre du slogan.
M.R. : C’est la définition de son terroir, un sol moins divers et complexe qu’à Pomerol, un climat continental ensoleillé. Mais ces vins font partie de la famille. Quoique plus simples, ils méritent d’exister. S’il y a créativité, elle est forcément plus limitée que sur les sols et les climats privilégiés capables de donner des vins complexes. Nous avons la chance en France, à l’exception du riesling que nous partageons avec l’Allemagne, d’avoir les plus grandes références : les meilleurs cabernet-sauvignon poussent à Pauillac, les meilleurs merlots sont à Pomerol, les meilleurs pinots et chardonnays sont en Bourgogne et les plus belles syrah s’épanouissent en Côte du Rhône septentrionale.

POMEROL, CHÂTEAU LE GAY 2009

M.R. :
C’est un vin jeune né sur l'un des immenses terroirs de Pomerol, dans un immense millésime.
J.-C.E. : Le discours s’allonge, c’est stendahlien ! On sent qu’il peut raconter encore beaucoup de choses. Dans cinq ans, il me dira autre chose, l’histoire se poursuit. Je ne suis pas œnologue, mais je sens ça. Par rapport à 2007, à la complexité claire, précise, voisine ici une complexité sous-jacente, bien détachée, les choses se recouvrent, ce vin contient des devinettes. Dans les colognes que je fais, je suis dans la matière pour la matière, l’odeur pour l’odeur, je suis allé au bout de l’histoire et la personne qui va les sentir va aimer ce caractère immédiat de l’olfaction. Dans les «Hermessences» qui paraissent simples, se rajoutent une chose et encore une autre, c’est une fausse simplicité, une épure complexe.

Nietzsche affirme que philosopher, c’est avoir du nez. Pensez-vous que vos démarches contiennent une vision du monde ?

M.R. : Quand on arrive dans son domaine à un niveau de recherche, un degré d’expérience étendus, cela oblige à avoir des considérations, des visions un peu différentes, des chemins s’ouvrent.
J.-C.E. : Je partage cette façon de voir. Dans le Journal du Parfumeur (3), ce que je ne pouvais pas exprimer par des parfums, je l’ai fait avec des mots. J’y ai exprimé une certaine vision du monde. Je suis un pessimiste heureux, je regarde le monde de manière lucide et malgré tout avec joie, pas celle d’un hurluberlu ou du « ravi » de la crèche provençale, mais avec légèreté. En introduction de «Terre d’Hermès», pour son lancement, j’avais «écrit» cette image : allongé sur le sol, les yeux dans les étoiles.


La photo : nos deux protagonistes, Jean-Claude Ellena et Michel Rolland, photographiés par Jean-Luc Barde.

Pour lire la première partie de cette conversation passionnante, cliquez ici

vendredi 20 juillet 2012

Michel Rolland et Jean-Claude Ellena,
nez à nez



L'œnologue Michel Rolland et le parfumeur de la maison Hermès, Jean-Claude Ellena, réunis par mon cher Jean-Luc Barde, confrontent leurs méthodes et leurs expériences. Comment imagine-ton un parfum ? Et un vin ? Passionnant. C'est long, mais c'est bon.

Jean-Luc Barde : Ce qui a déterminé vos parcours ?
Michel Rolland : Je suis né dans une famille de viticulteurs. Enfant, je pensais que le monde était recouvert de vignes. L’insistance paternelle à me faire aller à l’école m’a conduit à l’œnologie. Il n’a pas été question d’autre chose dans ma vie.
Jean-Claude Ellena : C’est à peu près la même chose. Je vivais à Grasse, ville consacrée au parfum. Ma famille, désespérée, a orienté le mauvais élève que j’étais à l’école vers la parfumerie. J’y suis entré comme ouvrier à 16 ans, j’y ai trouvé accueil et bienveillance, j’y suis resté.

J.L.B. : Vos premières émotions olfactives ?
J.-C. E. : J’ai 4 ans. Juché sur une chaise, je m’empare d’une boîte à biscuits qui exhale à l’ouverture une légère odeur de moisi. Évidemment, c’était défendu et l’existence de cet interdit a favorisé la mémoire, qui s’active davantage dans des situations de plaisir intense ou d’interdit.
M. R. : Je préférais l’odeur du fenouil à celle de la craie sur le tableau noir. Je suis d’une famille de gens de la terre, la campagne livrait ses odeurs. Je me souviens que ma grand-mère faisait la conserve de tomates, j’allais cueillir ces fruits que j’adorais manger dans leur éclatante fraîcheur. J’aimais aussi l’odeur des herbes. Les arômes du vin sont venus un peu plus tard, proposés par mon père et mon grand-père en quantité raisonnable, ce qui fait que je marche à peu près droit.

J.L.B. : Vous avez des dons particuliers ?
J.-C. E. : J’ai un nez tout à fait banal, quoique peut-être un peu plus grand que la moyenne, mais nous sommes tous pourvus du même nez. Le mien est simplement éduqué, je l’ai formé, je le travaille. C’est affaire de curiosité, de culture, d’imagination. Je me suis créé une langue des odeurs qui m’est propre et que je pratique. Si la vue est le sens privilégié de notre époque, je vois la vie par le nez. Plus exactement, je sens la vie par le nez. C’est avec lui que je la décode, que je la décrypte, je peux jouer de ce sens pour comprendre. À partir de là, j’existe un peu plus.
M. R. : Nous avons en effet tous le même nez. C’est ensuite une question de travail. J’ai dégusté pendant dix ans, dans les commencements de mon laboratoire, tous les échantillons qui arrivaient. C’était un bel exercice de curiosité nécessaire, j’ai appris en sentant, en goûtant. L’entraînement, comme pour les grands sportifs, joue son rôle. Quelqu’un a dit que le talent, c’est dix-huit heures de travail par jour ; j’ajoute que la passion me paraît être l’élément majeur déterminant qui fait avancer.

J.L.B. : Quelle est votre conception du goût ?
M. R. : Mon but, quel que soit l’endroit du monde où la vigne accepte de pousser et de donner des raisins, est de faire le meilleur. Il ne s’agit pas de définir une conception du goût, mais d’être au plus près de ce qu’il est possible de faire dans les conditions optimales. Cela donne un vin qui a un goût, mais ce n’est pas le mien, c’est celui de l’alliance de la terre, d’un climat et d’un fruit.
J.-C. E. : C’est une question que je continue à me poser, je n’ai donc pas de réponse, si ce n’est que le bon goût se rapproche de ce qui est beau. Ce sont des questions d’ordre culturel. Selon les pays, il diffère. J’ai une attirance certaine pour le Japon, le caractère sophistiqué et l’esthétique de ce pays. Lorsque je suis en Inde, la notion du beau m’échappe. À partir de cette incompréhension, j’ai créé le parfum Un Jardin après la Mousson en prenant des éléments propres à l’Inde, la mousson, le gingembre et d’autres. J’ai joué avec ces signes, c’est vraiment au niveau du signe que ça se situe. Ils m’ont permis de traduire mon Inde personnelle, avec la surprise et la curiosité qu’elle suscite. Mais c’est du côté de l’imaginaire, ça n’est pas celle des Indiens.

J.L.B. : Est-ce que vous imaginez vos vins ?
M. R. : Jamais ! Je suis confronté à une matière première obligatoire, c’est le raisin qui parle. J’essaie d’orienter la production au travers de la vigne vers des fruits de qualité. Imaginer le résultat serait un pur esthétisme. Je constate son éventuelle beauté au résultat.

J.L.B. : Que faites-vous avec la nature ?
J.-C. E. : J’ai toujours pensé que les œnologues s’ajoutaient à la nature – qu’ils apportaient d’eux-mêmes et que cela donnait le vin –, alors que je m’en retranche dans le sens où je la dépouille, je ne prends que l’élément qui m’intéresse en elle. C’est une forme d’assassinat, je coupe les têtes, un doigt ici, un pied là, un morceau ailleurs, j’en fais mon butin, et cela donne un être composite, issu d’éléments épars. Mon métier s’approche d’une démarche artistique, je suis dans l’abstraction.

J.L.B. : Comment fait-on un parfum ?
J.-C. E. : L’odeur est un mot, le parfum est la littérature. Le problème, c’est le choix des mots, l’ordre dans lequel on les dispose et, surtout, la phrase qu’on veut écrire. L’idée est là, cela peut prendre longtemps pour la mettre en œuvre ou quelquefois très peu, trois jours. Comme cela s’est passé dans les jardins de Leila Menchari* à Hammamet, en Tunisie. J’avais pour mission de créer un parfum nommé Un Jardin en Méditerranée, c’était tout. J’ai éliminé les poncifs, jasmin et fleur d’oranger, et je me suis retrouvé devant la page blanche, mes nuits blanches, mes doutes et l’accompagnement familier des textes de Giono qui joue le rôle de talisman contre l’angoisse et me sert de repère, d’heureux père. Ce temps est très inconfortable, mais il est nécessaire pour trouver autre chose, un signe olfactif qui fasse sens, qui évoque de manière claire la Méditerranée. Ce jour-là, autour d’un verre de champagne, une jeune fille froisse une feuille de figuier dans un sourire et, tout à coup, c’est le signe. Cette odeur, signe symbolique fort, fait sens. Ces arbres sont présents tout autour de la Méditerranée, leur odeur réunit les hommes. Une fois que j’ai trouvé l’entrée, il n’y a plus qu’à raconter l’histoire. Je me sens « écrivain de parfum », cela me paraît plus exact que la comparaison avec le compositeur ou le peintre. Dans le dictionnaire des odeurs, il y a dix mille molécules, la musique a besoin de sept notes sur sa portée, la peinture de trois couleurs primaires et trois complémentaires.

J.L.B. : Qu’est-ce que le luxe ?
J.-C. E. : C’est le partage. Lorsque je fais un parfum, je ne pense pas à une élite. Le fait qu’ils portent la signature Hermès les catégorise, mais dans mon esprit et dans celui d’Hermès ils sont là pour tous, leur prix en atteste.
M. R. : Il y a une part de rêve, de beauté, de rareté qui s’attache au luxe. S’y ajoute l’aspect spéculatif qui rend certains vins inaccessibles. C’est la dérive qui accompagne le luxe.

J.L.B. : Un assemblage est un processus créatif ?

J.-C. E. : Chez Cézanne, la disposition des touches de couleur résulte d’une superposition, chaque couleur glisse sous l’autre tout en laissant voir sa propre couleur, c’est extrêmement subtil. On voit le jaune, on voit le bleu à côté, et la liaison des deux, c’est à la fois une superposition et un détachement, de sorte que l’on voit la construction se faire. Pour le parfum, c’est un peu cela, des années d’expérience, de construction mentale, de réflexion, pour, de ce savoir, de cette technique éprouvée, obtenir un résultat. Ce qui m’intéresse là, ça n’est plus l’idée, le sujet de départ, c’est le chemin, la construction de la phrase.
M. R. : On invente quelquefois, à partir de l’observation, de l’histoire. Les vendanges en vert, l’effeuillage, m’ont été inspiré en reprenant le passé. Concernant le xxe siècle, pour évoquer la qualité, on parlait de 1928, 1929, 1945, 1947, 1961. Cinq grands millésimes en soixante-dix ans, c’est peu pour une carrière que j’envisageais sur trente ans et me laissait espérer trois « grands ». Je me suis interrogé sur les qualités communes à ces années : elles étaient chaudes, le raisin était mûr et en faible quantité. Quand on fait moins, ça mûrit et quand ça mûrit, c’est meilleur. J’ai eu cette idée de dire qu’il faut ramasser des raisins mûrs. Il reste à s’entendre sur l’idée de maturité, les désaccords sont nombreux, c’est le sel de ce métier. Comme on n’a pas encore d’analyse performante, il faut goûter peaux, pulpes et pépins, les trois composants d’une baie de raisin. J’ai beaucoup surpris, notamment en Amérique, quand j’ai souhaité goûter les raisins avant de donner le moindre conseil. Quand Jean-Claude fait un parfum, il cherche un fil conducteur et choisit dans l’immense palette aromatique du monde des senteurs. Nous n’avons que quelques échantillons que la nature nous donne, c’est moins libre, plus limité, mais je suis obligé de trouver le meilleur assemblage, la plus belle harmonie en tenant compte du vieillissement. Le grand vin, c’est l’harmonie.

J.L.B. : En matière de parfum, c'est la règle ?
J.-C. E. : Oui, mais cela peut être insuffisant. Nous avons à tenir compte de problèmes de contraste, de résonance, de dissonance, qui participent de l’expression d’un parfum.

J.L.B. : Un style Rolland et un style Ellena ?
J.-C. E. :
Il serait du côté de la musique de chambre, jusqu’au concerto, pas du côté de l’opéra, pas jusqu’à Wagner. Il y a aussi la notion d’élégance, de propos sincère, de justesse, et cet oxymoron fait de légèreté et de présence, sans tapage, à la fois d’apparence simple mais complexe. J’attends d’un parfum un support d’intimité, un contact avec vous. Quand je faisais Voyage d’Hermès, je voulais que l’odeur soit tendue. Tant que je ne l’ai pas, le parfum n’est pas sorti.
M. R. : J’ai un goût, donc un style. J’ai fait du vin dans vingt pays, le style est influencé par l’origine. Pour faire une comparaison avec la musique, toutes les partitions sont jouées, elles viennent de la diversité de la terre où les vins s’épanouissent. Ceux qui affirment que je fais le même vin partout signent leur méconnaissance du sujet. L’origine du vin est plus forte que l’homme qui le fait. S’il y a un style Rolland, il se décline au gré de l’influence des origines. L’art de faire un vin est du côté de l’épure, du raccourci, il faut densifier le propos.

J.L.B. : Le vin, le parfum sont soumis à l’éphémère ?
J.-C. E. :
Quand les gens achètent un parfum, ils le voudraient immuable. Rien n’arrête le temps qui passe, le parfum évolue, mais il change avec nous, c’est moins sensible. Si vous vous regardez tous les jours dans un miroir, vous ne vous voyez pas vieillir. Je travaille pour l’éphémère mais, dans la durée, ce que je vous propose va s’exprimer dans un temps court, mais se prolonge dans votre mémoire. Nous sommes là du côté des vanités : « Je viens te dire que tu es là, mais pas pour toujours, alors profites-en. »
M. R. : Pour ne fâcher personne, parlons d’un millésime qui n’existe pas encore : 2012. On ne peut pas imaginer un vin sans une qualité des raisins, et faire un faux vin à vieillir. Il faut l’inscrire dans sa durée supposée, tirée de ses capacités. Il n’y a pas de règle écrite pour en juger, c’est purement intuitif. Je décide au moment de l’assemblage. Pour Le Bon Pasteur 2007, petit millésime, j’ai cherché légèreté et élégance, qualité de fruit et buvabilité, ce vin ne se transportera pas dans le temps. Les merlots n’avaient pas une maturité exceptionnelle, un peu dilués à cause d’une humidité assez importante, donnant un jus pas extrêmement goûteux qui ne possédait pas une grosse concentration et risquait d’offrir des tanins rugueux, rustiques, un vin dont les chances d’évolution positive dans le temps étaient réduites. Les cabernets francs ont été vendangés un peu tôt. Nous ne devions pas extraire, c’est-à-dire laisser les raisins trop longtemps en cuve, pas de remontage pour risquer d’extraire des tanins de pépins plutôt que de pellicules, se contenter d’élégance et de fruité. Il ne faut pas essayer de goûter 2007 dans vingt ans ; 2009 pourra être goûté bien au-delà. Une fois ouverts, c’est toute la destinée des produits que nous essayons de faire, ils frappent les esprits et y restent, même si la fragrance a disparu depuis longtemps.

J.L.B. : Vos vins, vos parfums épousent leur époque ?
J.-C. E. :
La nostalgie ne m’intéresse pas, c’est un système qui permet de séduire, trop facile. Je me souviens de ce jour des années 1990 où l’un de mes collaborateurs me présenta son travail qui sentait les années 1970. C’était impossible, notre travail doit répondre à notre époque. Ma hantise est de ne plus être en résonance avec mon temps, d’être aveugle à ma propre manière de mettre en parfum.
M. R. : Nous avons le même âge et la même peur d’être enfermés dans nos manières de faire, de passer à côté de ce qui nous entoure. Toutefois si nous sommes professionnellement encore là, c’est malgré tout le signe de notre présence au monde.

Jean-Claude Ellena et Michel Rolland

J.L.B. : Formatage du goût, globalisation, standardisation et tendance. C’est notre époque ?
J.-C. E. :
L’époque est à l’uniformisation planétaire. La France et les États-Unis portent la responsabilité d’un impérialisme olfactif, ces deux pays ont imposé leurs goûts en matière de parfum et dominent le marché. Par rapport à cet état de fait, je suis en résistance, je défends la distinction, la différence, pour m’opposer à l’uniforme. La notion du goût universel que l’on voit partout, c’est la porte de l’ennui, qui conduit à la fin à la rébellion.
M. R. : Ce phénomène d’industrialisation et de formatage existe, mais le vin offre une telle diversité grâce à ses origines que l’amateur curieux est à tout jamais à l’abri de l’ennui.

J.L.B. : On parle beaucoup d’acidité et de minéralité, c’est curieux, non ?
M. R. :
Ce sont des tendances portées par des mots. On utilisait minéralité pour désigner les grands chardonnays de Bourgogne. Aujourd’hui, on l’applique aux vins rouges. Pas sûr que cela soit approprié. Le mot est charmant, on l’emploie. L’acide ou le sucré ne sont pas en soi défendables, c’est encore une fois affaire de mesure et d’harmonie. Si on les trouve, on ne parle plus d’acidité, de minéralité. Ce qui importe, c’est de provoquer la sensation et ça me paraît plus difficile à réussir.

J.L.B. : Et l’importance des voyages ?
J.-C. E. :
Le déplacement n’a pas d’importance, c’est la promesse au bout du voyage qui m’intéresse. C’est accorder à l’autre le temps pour le connaître. J’ai besoin de Japon. Cette culture est la plus éloignée de la nôtre et, pourtant, je me sens proche d’elle. J’ai besoin de la décoder. Plus je m’en approche, plus elle s’éloigne. Cela provoque chez moi un déplacement intellectuel et sensoriel du nez qui interroge ma capacité à imaginer leur manière de penser le parfum. Le haïku est la forme du raccourci que j’apprécie et je m’aperçois que plus je raccourcis, plus je raconte de choses. Raccourcir ne signifie pas simplifier. Je pense que si j’avais éprouvé un amour pour l’Afrique noire, ma manière d’être au parfum eût été plus charnelle, sensuelle, érotique. Au Japon, on est dans une dimension philosophique, cela m’attire davantage. Je ne peux donc pas changer de monde facilement, je ne ferais qu’effleurer.
M. R. : Ce ne sont pas les halls d’aéroport qui m’enchantent, c’est la curiosité qui motive ces voyages. Aller en Afrique du Sud, en Amérique, en Inde, en Chine, en France, c’est répondre au challenge de faire le meilleur à un endroit que je n’ai pas choisi. Il y a une évidente frustration à ne pas pouvoir aller au fond des choses, mais la découverte me passionne. Je reviens aussi aux sources puisque je vais en Arménie me plonger dans l’histoire de Noé et du mont Ararat, berceau de la civilisation du vin. Ce rapport à la mémoire des hommes, dans la tradition – les idées des anciens, souvent bonnes –, tout cela me passionne.


* Leila Menchari est directrice artistique chez Hermès

Pour lire la suite et la dégustation à quatre mains de vins élaborés par Michel Rolland, cliquez ici

Les photos : Michel Rolland et Jean-Claude Ellena photographiés par Jean-Luc Barde, pendant leur conversation. Ce sujet a été publié dans le Série limitée-Les Échos de juillet, sous une forme différente.

J'ai déjà publié ici à deux reprises des entretiens passionnants menés par mon cher Jean-Luc Barde. Michel Onfray et Jean Paul Kauffmann, ici. Aubert de Villaine et Alexandre de Lur-Saluces, et .

jeudi 19 juillet 2012

Perse à jour


Dans le monde du vélo, c’est comme ça. Il y a toujours une course, un criterium à courir et une jeune fille pour offrir au vainqueur un bouquet de fleurs et un baiser sur la joue. Chacun a dans l’œil ce genre de photo de L’Équipe, bien sûr. Le Tour de France, c’est tous les week-ends, dans toutes les communes de France. Ce jour-là, dans les alentours de Croissy, au bord de la Seine, le très jeune homme qui gagne la course s’appelle Gérard Perse et la jeune fille au bouquet et au bisou, Chantal. Gérard, qui ne sait pas très bien quoi faire du bouquet, en tire une fleur, la tend à Chantal. À la fin, elle deviendra Chantal Perse.
L’histoire commence. Smack et fin du flash-back.

Vingt ans après, Gérard Perse lâche un peu le Médoc (« Ma première passion, c’était le margaux »), découvre Saint-Émilion, noue une amitié avec le génial débutant Jean-Luc Thunevin. « J’ai découvert comment il vivait, j’ai découvert la nature, la beauté des sites, les saisons. Sous mes tubes de néon, j’en avais perdu jusqu’à la perception. » Il veut un vignoble pour voir. Il voit Monbousquet, fière bâtisse XVIIIe siècle, un vrai château en ruines. Et ses 37 hectares de vignes en pleine forme. Restauration de l’un, compréhension de l’autre, on est en 1992, Gérard a eu sa piqûre, c’est bon et c’est pour la vie. Quoi qu’on puisse penser de ses exploits à bicyclette, cet homme n’est pas un winner au sens où on l’enseigne dans les écoles de commerce. Il n’a jamais fréquenté un tel établissement, le commerce est compris en rendant la monnaie, et cinq qui font cent. Il n’a pas d’appétit de victoire, pas plus qu’il n’a soif de vengeance. Ce qui le pousse vient d’ailleurs.
Par exemple, d’une simple échoppe dans une rue de Boulogne-sur-Seine, avec Chantal. Un gros succès (à l’échelle de ce commerce). Bientôt, il a l’opportunité d’ouvrir un premier libre-service avec Promodès qui avait remarqué ce jeune bosseur. Au président du groupement, Paul-Louis Halley, il servira un train de bobards pour gagner sa caution. Il a été convaincant, il finira sa carrière d’épicier avec cinq hypermarchés en région parisienne. Une réussite majeure. Financièrement, bien sûr, mais pas seulement. De ses années de commerçant, petit et grand, il a appris le sens du travail et celui de l’ascenseur social. L’un attire la chance, l’autre comble le besoin de reconnaissance. Au-delà de ce qui pourrait passer pour une banalité, mais qui ne s’applique pas à tout un chacun, ce parcours exemplaire met en lumière un trait de caractère très peu partagé : le perfectionnisme. Chez Perse, c’est poussé au paroxysme. Qu’il gère un étal de fruits et légumes ou cinq hypers, la démarche est la même. Il fait le mieux possible. Il arrive à six heures du matin dans ses magasins, travaille comme un fou, a l’œil à tout, n’accepte aucune forme de laisser-faire, ni aucun conseil approximatif. Quand il a acquis Monbousquet, il était au faîte de sa gloire commerçante, un job à plein temps et au-delà. Il applique les mêmes méthodes et, avec une expérience des plus réduites, réussit l’un des plus beaux vins du petit millésime 1993, son premier, sur des terroirs auxquels personne ne croyait. Pourquoi ? Comment ? En travaillant, en réfléchissant intensément, en prenant les bonnes décisions, en innovant à contresens des idées reçues. Il dit : « J’ai la chance de ne pas faire partie du sérail bordelais, de n’en avoir ni la formation, ni la culture, ni les traditions. Cette liberté m’a tout permis. Michel Rolland, qui est mon consultant depuis le premier jour, était sidéré par ce que j’osais. Ses autres clients n’osaient pas, empêtrés dans leurs héritages. » Le contre-pied est habile, mais juste. Et apaisant. Le néo-vigneron a essuyé les tirs groupés de tous ceux qui n’acceptaient pas bien cette réussite flagrante, confirmée par les grands critiques et, particulièrement, le premier d’entre eux, Michel Bettane. Gérard Perse : « Quand j’ai lu ses premiers commentaires, j’ai compris que je ne faisais pas fausse route. Il m’a énormément aidé, je ne crois pas qu’il le sache. À ce moment-là, pour deux ou trois innovations qui sont aujourd’hui largement pratiquées, les gens me traitaient de fou. Pour moi, certains ont inventé l’expression “faire du vin avec de l’argent”. »

Les innovations dont il parle, c’est la vendange en vert. C’est-à-dire couper vers la fin de juillet toutes les grappes excédentaires pour le bon épanouissement du raisin, sa concentration. « J’ai appris ça d’un maraîcher qui exploitait des vergers. Quand un pommier peut faire cinq cents belles pommes, il est inutile de le laisser avec mille qui seront petites et pas très bonnes. Et voilà que mes détracteurs ont qualifié la méthode de technologique. Mêmes énervements avec les élevages sur lie, découverts en Bourgogne avec les vins blancs auprès de Dominique Laurent, rencontré grâce à Michel Bettane. C’est Dany Rolland, la femme de Michel, qui m’a encouragé à essayer avec mes rouges. Mes vins y ont beaucoup gagné. Et à présent, tout le monde fait la même chose. »
Gérard Perse n’a pas d’animosité envers cet establishment qui l’a si mal reçu. Il est fort d’une relation d’exception avec Chantal : « Notre force, c’est de travailler ensemble depuis le premier jour. » Aujourd’hui, Chantal s’occupe surtout de l’Hostellerie de Plaisance, le Relais & Châteaux qui a rendu son lustre à Saint-Émilion. Certes, avec ses voisins, les choses ne se sont pas passées comme il l’aurait souhaité, mais nulle aigreur dans ses propos. Il a acheté Pavie, en 1998, au nez et à la barbe des grandes familles du vignoble. C’est une autre manière, plus élégante, de régler de vieux comptes. Très vite, dès le millésime 2000, il hisse ce cru d’exception quelque peu endormi au sommet des classements. En même temps qu’il tombe amoureux du lieu. Pavie est certainement le plus beau vignoble parmi les grands du Bordelais. Ce sont trois vignobles en un, en fait. Le pied de côte apporte la finesse, la côte justement nommée Pavie se charge de la densité et le plateau, de la minéralité. Trois sols, trois façons de le soigner, et c’est précisément l’assemblage des vins de ces trois origines qui fait le caractère énorme de château-pavie, un vin aussi large que long, un monstre d’arômes et de puissance, une bête à concours qui devrait, en toute logique, grimper d’un cran au nouveau classement de Saint-Émilion, attendu pour septembre. Mais Gérard Perse ne se risque pas à un pronostic. Un an avant Pavie, il avait acquis Pavie-Decesse, une grosse maison et 2,5 hectares en surplomb du mythique vignoble. Il n’imaginait pas que, douze mois plus tard, il serait en mesure de réaliser le rêve d’une partie des puissants de Saint-Émilion, être le maître de Pavie. En revanche, quand il a commencé à traiter le dossier de Petit-Village, joli vignoble à Pomerol, là, « on » ne l’a pas laissé faire et « on » s’est débrouillé pour que ce soit l’assureur AXA qui emporte le beau bébé. Là encore, pas d’amertume, les vignobles Perse sont rentables, chacun gagne plus ou moins bien sa vie, mais aucun n’est déficitaire. Ajouter un pomerol aux sept vignobles (quatre saint-émilion et trois
côtes-de-castillon) dont il s’est déjà chargé, c’était un joli rêve pas très raisonnable. On ne peut pas tout faire très bien tout le temps.

Pourtant, bien calé dans son empire apaisé, entouré des mêmes collaborateurs depuis vingt ans (c’est un signe et c’est un exemple), celui qui ne prend jamais plus de dix jours de vacances d’affilée, celui qui vit le vin comme une compétition permanente, celui dont on affirme qu’il est un angoissé quand il est simplement dans une quête d’absolu, celui-là caresse un nouveau rêve en forme de bonne blague. Le terrain est prêt, il va planter un hectare pour faire un vin blanc, un pavie blanc. La première bouteille devrait sortir dans cinq ans des nouveaux chais qu’Alberto Pinto a conçus et qui, eux, seront prêts au printemps 2013. Chez les Perse, ça n’arrête pas.



La photo : Gérard Perse, photographié début juin à Monbousquet par Mathieu Garçon
Cet article est paru dans la livraison de juillet de Série limitée-Les Échos, sous une autre forme et sous un autre titre

mardi 17 juillet 2012

Fredi Torres, du pétard au pinard


Son surnom, c’est « Fresquito ». Une petite amie d’Amérique du Sud, perdue dans le sillage du temps, le lui avait donné. Comprendre qu’il est gonflé, qu’il n’a pas froid aux yeux. On peut la croire, la jeune Argentine, c’est écrit sur le personnage, étonnant. Une vieille histoire, il a gardé le nickname qui lui plaît bien, une forme de souvenir d’une vie antérieure qui brûlait très fort. Il était, à l’âge des premiers émois, un DJ de réputation. Comme il était trop jeune pour entrer dans les boîtes de nuit, il a choisi d’en faire un métier et, très vite, un gros succès et l’argent qui l’accompagne. Il vit ces années nocturnes à fond, comme un athlète de haut niveau, poussé par cette idée qui consiste à amuser le monde. Il faut que les gens qui viennent « passent un bon moment ». Il en parle simplement, sans crâner, sans faire le beau, c’est loin derrière. Il a arrêté à 21 ans sa carrière de grand sportif des exagérations.
Très, très bizarrement, c’est le vin qui le sauve. Un exemple pour les générations futures. Les hasards de l’existence lui font croiser le chemin d’un vigneron assez décalé ou assez pédagogue, ou les deux, pour intéresser le jeune énervé. Il découvre les joies des levers matinaux, apprend à se servir d’un réveil, bref il grandit. La relation avec la terre, plus impliquante, est une révélation. « C’est plus cistercien », dit-il pour établir comme un lien avec les racines de sa nouvelle vie. Conscient des nécessités de formation que tout métier requiert (sauf DJ, sans doute), il intègre pour trois ans la prestigieuse Station fédérale de recherches agronomiques de Changins, sur les coteaux du Valais, et, à sa manière toute d’une pièce, s’enthousiasme puis se passionne pour ce qu’il découvre. « En 1999, je goûte Cheval Blanc. Ce verre a décidé de ma vocation. J’ai compris cette histoire d’émotion dont j’entendais parler à propos des grands vins. » Le rythme des saisons, la plante, les mystères de la fermentation et ceux du goût du vin, tout l’excite. Il retourne régulièrement dans les rangs de vigne de son mentor, passe de la théorie à la pratique avec une sorte de gourmandise qui commence à lui donner faim, travaille comme un damné, des semaines de 72 heures pendant les vendanges. Il voyage en Argentine et en Afrique du Sud pour compléter sa formation.

La rosée du coteau

On l’a compris, Fredi Torres ne fait à peu près rien comme tout le monde.
Aussi rétif à l’autorité qu’aux évidences, il imagine peu à peu un projet
très inhabituel qui lui ressemble bien. Aller bousculer les valeurs établies avec un vin à lui, tout à lui. Les quelques sous qu’il a réussi à conserver
de ses années fauves, il décide de les investir dans un vignoble. Pour commencer, il louera des vignes, puis il en achète. Une petite propriété, bien sûr, qui compte cinq hectares plantés, un hectare d’oliviers et trois hectares de forêt. La biodiversité est respectée.
L’Espagnol de Galice grandi sur les rives du Léman parce que sa mère voulait lui donner la chance d’un avenir, trouve juste de retourner sur la terre de ses ancêtres pour accomplir son grand œuvre, son beau rêve. Il s’installera en Catalogne, cette province du nord-est de l’Espagne toute affolée de son importance, dans la région de l’appellation Priorat, un paysage de montagnes, de terrasses et de petits coteaux. Là, quelques pionniers ont déjà acquis une renommée internationale avec des vins très… internationaux, justement. Comprendre qu’il s’agit de vins puissants, lourds, alcooleux, taillés pour la cotation de Robert Parker. Lui s’installe sur des coteaux d’exposition fraîche et ventilée, un atout en ces temps de dérives climatologiques, un endroit fait pour la finesse des vins, c’est ce qu’il cherche. Mais, au fond, il est très seul quand il s’attaque à son Himalaya, un beau jour du printemps 2004. Il a réfléchi à ce qu’il voulait : « J’ai joué la carte locale de l’assemblage grenache-carignan, j’ai un peu de syrah et du cabernet. Mais mon cœur va au carignan. Il offre une belle acidité, des arômes profonds, et il produit peu d’alcool. »
Dans son domaine, baptisé Saó del Coster, la rosée du coteau, il embouteille quatre cuvées pour un peu plus de 20 000 bouteilles. Dans son chai, il intervient le moins possible : « Mon obsession est de faire des vins avec une bonne buvabilité, mais dans le respect des typicités de la région et des cépages que je cultive. Je sulfite a minima, mais je sulfite, je ne suis pas un taliban du sans-soufre. Mon travail en biodynamie n’est pas un élément de marketing, je n’en parle ni sur les étiquettes, ni sur le site Internet du domaine. » De la même manière, il n’est pas un forcené de la communication, ne va pas dans les salons professionnels. Sauf un. Chaque année, il assiste au World Wine Symposium, le Davos du vin, au milieu des vignerons les plus célèbres de la planète. Ce rendez-vous très haut de gamme l’enchante, mais pourquoi ? « Évaluer le sens que prend ce métier, appréhender ce qui se passe autour, rencontrer de grands noms du vin, comprendre qu’on a des points communs, ça me rassure. » Et puis il retourne dans son Priorat. Il est passé des platines aux pressoirs, des nuits chaudes aux matins frais. Dans la forêt, il croise des biches avec leurs faons, la rédemption passe aussi par ces joies-là.

La photo : Fredi dans l'escalier monumental de la Villa d'Este au bord du lac de Côme à l'occasion du Davos du vin, novembre 2011. Photo Armand Borlant. Cet article est paru sous une forme différente (et sous un titre différent…) dans le numéro de juillet de Série limitée-Les Échos.

lundi 16 juillet 2012

1855, tous les culots
(j'aime pas les vautours)


Il y a des mauvaises manières qui ne sont plus acceptables. Ainsi du principe qui consiste à promettre la lune en échange d’un chèque et de se la garder, la lune, tout en empochant l’argent. Vous voyez de qui je veux parler ? Bravo, il y en a qui lisent aussi La passion du vin et Jim Budd. Depuis que le « groupe » 1855.com a acheté l’opérateur CavePrivée.com, les méthodes du premier ont été appliquées au second. En témoigne le mail que nous avons reçu et dont voici quelques extraits que je publie tels :

« (…) Je voudrais seulement parler d'un site de vente de vins en ligne, caveprivée.com pour ne pas le nommer. Je m'y suis inscrit il y a quelques années, en grande partie car j'y voyais un partenariat avec le guide Bettane et Desseauve, gage de qualité à mes yeux (les critiques des vins sont souvent issues de vos pages). Je n'ai pas eu de problème avec eux pendant un long moment. Puis j'ai cru comprendre que le site avait été racheté par un concurrent dont j'ignore le nom, et les problèmes ont commencé.
Je passerai sous silence tous les ennuis que j'ai eus avec eux, des mails désagréables, aux commandes jamais livrées quoiqu'encaissées, les mensonges des employés, les remboursement âprement discutés pendant des mois, puis en partie seulement honorés... En discutant avec des amis également inscrits et en flânant sur Internet, j'ai remarqué que j'étais loin d'être le seul dans ce cas, et je me suis vite rendu compte que leur commerce jadis honnête se situait aujourd'hui à la limite de l'escroquerie.

Si je vous en parle aujourd'hui c'est que cela m'attriste de constater que votre guide est toujours associé au commerce de ces sinistres individus. Les nouveaux flacons mis en vente (qui ne seront vraisemblablement jamais livrés) mettent toujours en exergue vos critiques pour appâter le chaland. J'ignore si vous étiez au courant de cette situation qui me semble nuire grandement à votre image, mais je souhaitais vous en faire part au nom de l'estime que je porte à votre travail. »

D’abord, remercier ce monsieur de la confiance dont il nous honore. Lui confirmer que ceci ne nous plaît pas du tout. En plus, nous ne voulons pas être associés à la nébuleuse 1855.com en aucune manière.
S’il ne nous appartient pas de nous substituer à la police et à la justice (même si nous voudrions ces institutions un peu plus réactives) pour tenter de circonvenir les agissements de ces gens, il nous est particulièrement insupportable qu’ils se servent de notre travail pour enfumer les amateurs les plus crédules.
Qu’il soit dit ici haut et fort que nous n’entretenons (n’avons jamais entretenu) aucune relation ou partenariat de quelque nature que ce soit avec les 1855, CavePrivée ou Chateauonline. Une fois, 1855 s’est servi des notes de dégustation des primeurs sur son site. Notre avocat y a mis bon ordre et cela s’est arrêté net. Ils recommencent avec CavePrivée… Je dois dire que je ne suis pas un lecteur assidu de ces sites. Les commentaires de dégustation de Bettane+Desseauve sont à la disposition de chacun, leur utilisation à des fins commerciales, douteuses en plus, c’est moins sûr. Nous allons tenter d’arrêter cette exploitation bien peu conforme à l’idée que nous nous faisons du monde du vin.

Nous avons largement dénoncé les mauvaises méthodes de ces gens sur ce blog, comme nous nous sommes insurgés contre ceux qui les défendent. Ici et , entre autres.

Plus d’info : voir le forum La passion du vin. Il y a plus de cent pages web de témoignages de clients floués et toutes les adresses et les conseils pour se défendre. Le blog de Jim Budd, Jim’s Loire, élu par Vindicateur meilleur blog anti-1855, retrouvez-le dans la colonne de droite de ce blog, rubrique Tous ceux que j’aime.

La photo : un prédateur plane en douceur dans un ciel jaune. Photo Amélie Couture

jeudi 12 juillet 2012

Un pylône sur la colline de l'Hermitage
(suite sans fin)


La réunion d'avant-hier à la mairie de Crozes-Hermitage dont dépend la colline s'est conclue avec un vote de défiance devant le projet de l'opérateur ItasTim. Hélas, comme ce même conseil municipal avait voté pour auparavant, le processus est enclenché et seul le tribunal administratif est en mesure d'annuler le permis d'édification de l'antenne de 18 mètres destinée à saloper la colline. Ce qui pose un petit problème au conseil municipal. Le moment n'est-il pas venu de rajeunir les cadres ? Je suis sûr qu'il y a tout plein de quadras conscients et responsables qui n'auraient jamais laissé passer un truc pareil.


Le Point de ce matin a publié quelques lignes sur le sujet qui nous occupe sans prendre vraiment parti. Dommage, encore une occasion ratée de se mettre enfin dans le vent de l'Histoire.
La pétition mise en place par Vincent Pousson réunit déjà près de 500 signatures. Si vous ne l'avez pas signée, je vous en prie, c'est par ici.


Mon cher Pierre Alain Robert, qui faisait son dur métier dans le nord de la vallée du Rhône la semaine dernière, est passé sur la colline. Il y a fait ces jolies photos. Je les publie à l'intention de chacun de ceux qui n'y ont jamais été encore. Histoire de les convaincre que le site vaut la peine qu'on le défende.

Les détails de l'affaire, ici et .

lundi 9 juillet 2012

Hermitage, la suite


Le plus fou dans l’affaire, c’est que les autorités locales ont demandé depuis longtemps le classement du site au patrimoine national, décision qui doit être entérinée par le Ministère de l’environnement. Qui devrait avoir à cœur de justifier sa fonction. Normalement, et si l’on en croit les beaux discours des mois qui précèdent, ce que l’on a appelé un programme, l’opérateur ItasTim (filiale de l’Italien TIM ?) devrait rompre l’engagement, sentir que c’est peine perdue, remballer son pylône et voilà. Mais non, pas du tout. Il contre-attaque, il tient à son projet stupide. Il va encombrer les tribunaux et emmerder tout le monde avec sa logique à contre-sens commun. Ça me rappelle l’usine de traitement de déchets qui était prévue au milieu du vignoble de Givry ou le parking de Barsac. C’est qui déjà, le Ministre de l’environnement ? Cécile Duflot ? Descendez du vélo et au boulot, chère madame.
Depuis la publication de ce billet, Emmanuel Delmas sur son blog et Vincent Pousson sur le sien se sont exprimés et Jacques Berthomeau, ce matin. D’autres l’ont fait dans le fil de commentaires sur BonVivant. Où, grosso modo, l’on s’étonne de cette levée de boucliers pour une colline qui serait polluée par les murs sur laquelle sont inscrits en hautes lettres, en noir sur blanc, le nom des principaux propriétaires de vignes de la colline. Je rappelle que c’est une constante dans plusieurs vignobles européens, dont la vallée du Douro, que ces réclames historiques font partie du paysage viticole au même titre que certaines enseignes lumineuses à Londres ou en Espagne. Je pense au Tio Pepe défendu par Vincent Pousson et que la société McDo souhaite virer. D’autres arguments ont trait à la nécessité de service afin que la télé entre dans tous les foyers. Bon, très bien. Mais le CSA aurait confirmé qu’il n’y a pas de problème de couverture TNT dans cette région. C’est donc un intérêt industriel limité strictement à l’opérateur, cette idée qu’il faut absolument une concurrence à TDF au mépris de toute autre considération. Ce qui explique que nous nous insurgions. L’utilité publique a assez servi à défigurer les paysages. Mettons que ça suffit comme ça.

La photo : l'antique pont suspendu qui servait à rejoindre Tournon depuis Tain et, au fond, la colline (D.R.)

NOUVEAU : Vincent Pousson, vif comme l'éclair, a mis une pétition en ligne à l'intention d'Aurélie Filipetti, ministre de la Culture et de la Communication. Je vous engage vivement à la signer, en cliquant ici

vendredi 6 juillet 2012

La colline de l'Hermitage en danger
(on n'est jamais tranquille)


C’est bizarre, il se trouve toujours un fou pour vouloir abîmer la colline de l’Hermitage, ce prodige géologique qui porte quelques-unes des plus belles vignes de France. Il y a quelques années, c’est l’autorité en charge du TGV qui voyait très bien un percement de la colline pour faire passer la ligne. Par chance le ministre communiste en charge des transports, grand amateur de beaux vins, informé de l’étendue des dégâts par son coach en dégustation, avait mis un terme à ce projet délirant. Aujourd’hui, c’est un opérateur en téléphonie qui n’hésite pas, avec la complicité de l’administration « responsable » (la Direction départementale du territoire, connue pour s’asseoir sur tout ce qui est un peu joli en France), à envisager la plantation d’un pylône de 18 mètres au sommet de la colline divine, juste derrière la petite chapelle célèbre dans le monde entier et propriété de la maison Paul Jaboulet Aîné. Pour mémoire, il y a déjà une antenne sur la colline.
Le plus beau dans l’histoire, c’est que l’autorisation initiale vient de la mairie de Crozes-Hermitage, dont dépend cette partie de la colline. Une commune de vignerons. Le maire, enfin réveillé, freine des quatre fers, mais l’opérateur, toute honte bue, insiste, persiste et signe. Il s’en fout complètement de ces considérations bassement esthétiques et environnementales. Cet opérateur, c’est Itastim, fin spécialiste de la TNT et du pylône qui tue.
Avec Michel Chapoutier, Caroline Frey et quelques autres, disons haut et fort que nous ne supportons plus l’arrogance de ces gens qui ne respectent rien ni personne. Aux autorités qui ont les pleins pouvoirs et ont été élues sur des programmes orientés vers le citoyen, disons qu’il est temps de s’en servir à d’autres fins que l’utilisation gourmande des ors de la République. Un peu de cohérence idéologique ne nuit pas.

La photo : le Rhône, le bourg de Tain et la colline de l'Hermitage, photographiés par Guillaume Puzo (cliquez sur la photo,c'est sublime en grand)


La suite, ici

jeudi 5 juillet 2012

Classement des blogs, BonVivant 22e
La descente aux enfers


Une éternité que BonVivant, le blog, était bien calé dans le Top 20 et, pour l’essentiel de l’année écoulée, dans le Top 10. Et le voilà 22e, autant dire nulle part. Le coup de yoyo recommence.
En quatre mois, je suis passé de 1 à 16, puis 4 et là, 22. Les deux plongeons correspondent à un gros relâchement dans l’attention que je porte à ce blog. On ne peut pas tout faire, des journaux, des voyages, un site animé quotidiennement et un blog qui tourne rond. Bon, et ça ne va pas s’arranger cet été.
La bonne nouvelle
Visiblement, la lune de miel de Miss GlouGlou est maintenant en mode croisière, elle retrouve sa première place préférée dont elle ne descend jamais dans le cœur des amateurs.

Allez, je vais boire pour me souvenir de quand j’étais 1.

Le classement complet, ici.

mardi 3 juillet 2012

Calon-Ségur est vendu


Ainsi Calon-Ségur et son petit frère Capbern-Gasqueton sont (seraient ?) vendus. Au contraire de ce que déclarait Hélène de Baritault à la mort de sa mère, la célèbre Madame Gasqueton, emblématique propriétaire du fameux cru. Il ne faut pas y voir de malice de sa part et il est plus que probable que cette cession lui fend le cœur. Elle était très attachée à cette propriété et à l’idée de continuer l’œuvre entreprise depuis un siècle et demi par sa famille. Seulement elle n’était pas la seule héritière et n’était pas capable d’assumer financièrement le désengagement des autres héritières, ses deux nièces. Une banale histoire de succession comme la France en connaît trop souvent. Nos lois sont faites pour démanteler les héritages et les dynasties sans tenir aucun compte de l’histoire, des volontés, des efforts accomplis. Et si j’en crois l’excellent Time to sign off du jour, ce n’est pas fait pour s’arranger.


La bonne nouvelle dans l’affaire, c’est la qualité du repreneur de Calon-Ségur. Il s’agit d’une compagnie d’assurances, filiale de la banque Crédit Mutuel.

Pourquoi c’est bien ?
Une compagnie d’assurances a l’obligation réglementaire d’asseoir sa structure capitalistique sur de l’immobilier et du foncier afin de protéger les déposants (vous, moi) contre les vents mauvais de la finance internationale (tiens, tout d’un coup, ça parle). À la différence d’un fonds de pension, une compagnie n’achète pas un vignoble pour faire un coup de plus-value. Elle s’installe dans la durée et, forcément, dans la qualité. Je reviens à l’instant du château La Pointe à Pomerol, propriété de Generali-France, autre compagnie d’assurances.


Éric Monneret, directeur du château et fin professionnel, est très content de l’actionnaire qui lui donne les moyens de faire bien. Sous réserve, bien sûr, que les investissements recommandés soient soigneusement argumentés et justifiés. Aux commandes de La Pointe depuis quatre ans, il sort peu à peu ce château de l’anonymat et du ventre mou des classements dans une démarche sereine toute entière tournée vers l’excellence. Dominique Befves, à Lascombes, ne dit pas autre chose depuis la vente par le fonds Colony Capital à une autre compagnie d'assurances. Il semble que c’est ce qui peut arriver de mieux à ces beaux vignobles. Ce qui devrait certainement mettre un peu de baume au cœur meurtri de Madame de Baritault.

Les photos : en haut, le château Calon-Ségur et sa façade austère (photo D.R.). Au milieu, sur le mur du chai, photo empruntée à mon cher Denis Hervier, son blog, ici. En bas, une photo prise au château La Pointe par Amélie Couture et son talent.

Deux autres articles sur ce blog concernant Calon-Ségur. Ici et .
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dimanche 1 juillet 2012

Ceci n’est pas une contrefaçon


Chairman Mao sur une étiquette, c’est un peu comme si un producteur ukrainien mettait Staline sur les siennes. Émotion mondialisée, cris et chuchotements, scandales. La Chine, pays de tous les possibles, empire de l’ambiguïté, n’a rompu avec rien et surtout pas avec le souvenir de Mao Ze Dong. Pour balayer devant sa porte, la Chine s’est payée la Bande des quatre, qui a réglé une addition stratosphérique. Mao, lui et à la différence de Staline, conserve une image à peu près intacte dans la population chinoise. Nous-mêmes n’avons nous pas affiché sur nos murs et nos étagères statuettes et posters ? Un temps que les moins de vingt ans, etc. Eux, ils continuent, mais avec le Che, autre tortionnaire cynique.
Verra-t-on ces bouteilles arriver un jour dans les rayons des hypers ? Ce n’est pas exclu. Est-ce bon à boire ? Je n’en sais rien, j’en doute un peu et ça ne m’intéresse pas tellement.
En ce dimanche premier de juillet, je lève mon verre de champagne-campari dans le soleil à la santé du Vinocamp Champagne, je n'y ai pas été, pourtant j'aime bien les Vinocamps, et je m’apprête à partir à Pomerol. C’est autre chose que cette nostalgie étrange.

À la santé du Vinocamp Champagne