Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 29 novembre 2012

Quatre grands crus classés,
trois bœufs et un violon


Si l’équation personnelle a quelque valeur pour décrypter la réussite d’un individu, penchons-nous sur Bernard Magrez. L’homme est de haute stature, large d’épaules, l’accent bordelais légèrement marqué. Il est très exigeant, parfois pressant, un bourreau de travail qui voit le monde à travers ce prisme-là. Tiré à quatre épingles en toutes circonstances, il affiche une curiosité d’un éclectisme rare. Il masque une passion authentique derrière un discours marketing très au point. Il ne conçoit un podium que sur la plus haute marche.
Voyons sa production.
Quarante domaines viticoles – c’est un record – à travers la France et le monde, jusqu’au Japon. Et des centaines de collaborateurs. Des étiquettes très soignées qui laissent la priorité à l’identité du domaine sans jamais omettre la marque-ombrelle, Bernard Magrez est la signature commune. Tous ces vins portent haut les qualités des appellations, des régions, dont ils sont issus, on ne peut pas prétendre qu’il y a un style Magrez ou alors sur la qualité et la recherche de l’amélioration permanente. Ce n’est pas un compliment, c’est un constat : il n’y a pas de bouteille-poubelle dans la gamme Magrez, mais c’est plus facile à accomplir quand on n’est pas impliqué dans la grande diffusion. Très attentif à ce qu’il se passe, il avoue volontiers s’être intéressé aux vins du Roussillon en raison des succès que rencontrait sur cette terre du grand Sud la production d’Hervé Bizeul, l’un des plus petits grands vignerons de France.
Bernard Magrez a de l’intérêt pour la réussite. Et dans le registre je-suis-curieux-de-tout, il applique au reste de ses investissements la même grille de critères, celle qui a régenté toute sa vie. Pour le comprendre, il suffit de l’écouter parler du jeune virtuose à qui il a confié le violon de Stradivarius récemment acquis et re-baptisé Château Fombrauge : « Je n’ai pas choisi un violoniste bordelais, ce n’est pas l’idée du tout. J’ai choisi Mathieu Arama en raison de son talent et de sa détermination. Il veut réussir, ce qui tranche avec pas mal d’artistes. » La volonté au service du talent, tout est dit. Ou presque.
Il vient de se porter acquéreur du premier cru classé de sauternes, Clos Haut-Peyraguey. Ce faisant, il boucle une sorte de programme. Il est le seul à posséder un château dans les quatre grands classements. Pape-Clément (les Graves), La Tour-Carnet (Médoc, classement de 1855), Fombrauge (grand cru classé de Saint-Émilion) et ce sauternes majeur. Pourquoi ? « La renommée de Bordeaux a toujours été faite par les grands crus classés. » Bien sûr, c’est stratégique, dit-il. Une autre fois, il vous expliquera qu’il a choisi, pour des raisons d’argent, de se défaire des petits vins de grande diffusion qui ont fait l’essentiel de sa carrière. Comprendre que « c’est plus facile et beaucoup moins cher de vendre des grands vins que des petits ». En effet, avec un public très ciblé et une distribution des plus sélectives, en quelques actions de promotion haut de gamme, la récolte est vendue. Une posture marketing ou une vraie motivation ? On trouve la réponse dans cette passion dévorante pour les grands crus historiques et admirables qu’il accumule avec une gourmandise très plaisante.
Au cours de l’été dernier, voilà que le monde s’émeut de le voir rafler une grosse quinzaine d’oliviers millénaires, au nez et à la barbe de quelque émir du désert. C’est sans doute le seul achat qui n’a pas à proprement parler de justification stratégique. Non, il parle du temps qui passe « une notion plus sensible à partir d’un certain âge. » Ces arbres aux troncs énormes ont été répartis sur les pelouses de ses châteaux, après avoir été datés au carbone 14. Ils ont tous entre 1 000 et 1 800 ans. Chacun a été baptisé du nom du grand homme de l’époque concernée. Au mois de septembre, il installe trois gros bœufs blancs en provenance d’Ariège, dans les étables restaurées précipitamment du Château Pape-Clément. S’agit-il d’un beau coup de communication ? Sans doute, mais pas seulement, la vraie raison a trait à la poursuite de l’excellence, une course engagée depuis un moment au Château Pape-Clément. Écoutons Bernard Magrez : « Le bœuf est plus léger que le cheval, 200 kilos de moins. C’est important de tasser les sols le moins possible. Autre caractéristique du bœuf, il s’arrête lorsque la charrue rencontre un obstacle, une grosse racine ou même, en cas d’erreur, un cep. Le cheval continue et arrache tout. » Il n’y a que l’heure qui tourne qui soit capable d’arrêter le long monologue de celui qui veut tout expliquer pour tout faire comprendre.
Il n’y a pas de secret.


Retrouvez les vins de Bernard Magrez au Grand Tasting, stand 26

La photo : Bernard Magrez, photographié par Mathieu Garçon. Ce sujet a été publié sous une forme différente dans le Spécial Vin du quotidien économique Les Échos du 22 novembre 2012.

mercredi 28 novembre 2012

Le Grand Tasting, l’École des Terroirs
et les Ateliers Gourmets

Un Atelier Gourmet, c'est ça



Le Grand Tasting, vous le savez, c’est l’occasion de goûter des centaines de vins, stars de leurs appellations ou grands encore petits.
Pas seulement.
Le Grand Tasting, c’est aussi bien de se cultiver un peu. Dans deux registres.
1.- Les accords mets-vins, cette magnifique manière de donner toutes leurs chances aux vins que vous buvez et aux plats que vous mangez. Pas sûr qu’il s’agisse d’une science, mais d’un feeling, oui sûrement. Bonne occasion de comprendre comment ça marche. C’est le rôle des Ateliers Gourmets
2.- Dans une gamme plus large, comprendre les terroirs ou la qualité des verres à vin, c’est faire des progrès considérables dans votre approche du vin. L’École des Terroirs a été imaginée pour ça. Commençons par là.

L’Ecole des Terroirs
Samedi 1er décembre 2012
12h-13h
Les terroirs de riesling Présenté par Bruno Schloegel, vigneron de la Maison Lissner.
Équilibres et signatures comparés sur grès bigarré (lieu-dit Rothstein), calcaire coquillé (communale Wolxheim) et grande oolithe (Alsace grand cru Altenberg de Wolxheim). La vigne mûrit ses fruits en fonction de son environnement. Conduite en faune et flore sauvages, raisins récoltés entiers à maturité, vinifications à minima, les équilibres obtenus pour un même cépage traduisent cette relation entre la vigne et son terroir. Fleurs, fruits ou épices, salinité, puissance ou complexité, une verticale de trois millésimes : 2011, 2009 et 2008 (grande année de riesling).
• Alsace lieu-dit Rothstein, blanc 2011
• Alsace lieu-dit Rothstein, blanc 2008
• Alsace communale Wolxheim, blanc 2011
• Alsace communale Wolxheim, blanc 2008
• Alsace grand cru Altenberg de Wolxheim, blanc 2009
• Alsace grand cru Altenberg de Wolxheim, blanc 2008

13h-14h et 17h-18h
Riedel : L'importance du verre dans la dégustation
Présenté par Philippe Guillon
Venez découvrir le rôle du verre dans l’expérience de la dégustation des vins. On peut être sceptique devant l'idée que la forme d'un verre puisse avoir la moindre influence au nez et, encore plus, en bouche sur l'appréciation d'un vin. Et pourtant, il suffit d'une dégustation comparative pour en mesurer l'impact. Cette dégustation comparative vous permettra à travers quatre verres Riedel de formes différentes, et quatre vins (deux blancs, deux rouges) de comprendre pourquoi la forme d'un verre, loin d'être anodine, se doit d'être adaptée aux caractéristiques du vin qu'elle vous présente pour en offrir le meilleur. Tarif : 35 euros. À l'issue de cette dégustation, chaque participant repartira avec son Tasting Set comprenant les quatre verres Riedel utilisés (valeur prix public de 90 euros).

15h-16h
Expression de Terroir de Châteauneuf-du-Pape
Présenté par Didier Couturier, œnologue de la Maison Ogier
Présentation et dégustation des quatre cuvées Ogier issues des quatre terroirs de Châteauneuf-du-Pape.
• Châteauneuf-du-Pape, Expression de Terroir, Éclats Calcaires, rouge 2010
• Châteauneuf-du-Pape, Expression de Terroir, Safres, rouge 2010
• Châteauneuf-du-Pape, Expression de Terroir, Grès rouges, rouge 2010
• Châteauneuf-du-Pape, Expression de Terroir, Galets roulés, rouge 2010

16h-17h
A la découverte des arômes du Cognac
Dégustation olfactive d'eaux-de-vie non vieillies de grande champagne et de fins bois et dégustation d'un VSOP, d'un XO et d'un Extra.
• Eaux-de-vie blanche grande champagne et fins bois
• Cognac VSOP
• Cognac XO
• Cognac Extra


18h-19h
Quatre crus classés 1855 de Sauternes et Barsac
Présentés par Philippe Baly (Château Coutet), Martine Langlais-Pauly (Clos Haut-Peyraguey), Pierre Montegut (Château Suduiraut), Alex Barrau (Château La Tour Blanche)
Illustration du terroir des villages de Barsac, Bommes et Preignac avec le millésime 2007 :
Château Coutet
Clos Haut-Peyraguey
Château Suduiraut
Château La Tour Blanche


Ateliers Gourmets

Vendredi 30 novembre 2012
12h00 à 12h45
Jérôme Laurent (Le Cilantro à Arles) et Domaine Dalmeran (Baux de Provence)
Ris de veau foie gras à la réglisse. Châteauneuf-du-Pape, La Celestière, blanc 2011.

13h00 à 13h45
Jean-Pierre Cassagne (Closerie des Lilas) et Jacquart (Champagne)
Noix de Saint Jacques Rôtie, Ecume de Blanc de Blancs 2006, étuvée de poireaux et fleur de caviar avec une fine tuile aux épices et un tartare de raisins blancs.
Champagne Jacquart blanc de blancs 2006. Champagne Jacquart Brut Mosaïque, blanc.

14h00 à 14h45
Christophe Duguin (Le Chapeau Rouge) et Pierre & Bertrand Couly (Chinon)
Pressé de faisan et foie gras de canard aux coings. Joue de Roi Rose de Touraine à la poire tapée de Rivarennes et confite au vin de chinon. Chinon, Les Blancs Closeaux, blanc 2011. Chinon, Saint-Louans Le Parc, rouge 2011.

15h00 à 15h45
Xavier Thuret (Fromagerie Thuret) et Jean-Luc & Paul Aegerter (Bourgogne)
Accords Vins et fromages.

18h00 à 18h45
Stéphane La Ruelle (La Chiberta) et L’Aumérade (Provence)
Gambas en préparation cru à la coriandre, mousseline de carottes et réduction aux agrumes.
AOP Côtes de Provence, Château de l'Aumérade Cru Classé, Blanc de blancs de gastronomie, Cuvée Sully 2011.

Samedi 1er décembre 2012
11h00 à 11h45
Mikael Nizerro (La Briquèterie) et Agrapart & Fils (Champagne), Boizel (Champagne)
Tartare de langoustines aux senteurs d’agrumes, toast melba et caviar impérial.
Agrapart & Fils, Minéral, Extra Brut Blanc de Blancs, Grand Cru Champagne 2006.
Carpaccio de veau aux senteurs de gribiche et son fritot, vinaigrette gourmande à la truffe.
Champagne Boizel, Brut Chardonnay.

12h00 à 12h45
Mikael Nizerro (La Briquèterie) et Drappier (Champagne), Joseph Perrier (Champagne)
Blanc de saint-pierre poêlé, avocats et cèpes saisis, jus d’artichaut aux senteurs de réglisse.
Drappier, Quattuor, blanc de quatre blancs
Bar de ligne vapeur sous croûte d’algues, purée de fenouil, sauce champagne et coquillages
Joseph Perrier, cuvée blanc de blancs 2004.

13h00 à 13h45
Stéphane Castaing (Tantine et Tonton) et Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (Limoux)
Foie gras de canard de la Piège et ses gnocchis de pomme de terre du Pays de Sault à l'orange, sur pain de mie toasté et purée de topinambour, œuf de poule mollet (basse température) et jus de veau à l'échalote.
Crémant de Limoux, Toques et Clochers Édition limitée, blanc 2007. Limoux, Le Chardonnay – Domaine Baron'Arques, blanc 2010.

15h00 à 15h45
Fernando de Tomaso (La Pulperia) et Domaine Brocard (Chablis)
Ceviche Bacalao avec avocats, Patates douces et poutargue.
Chablis, Les-preuses, blanc 2009.

16h00 à 16h45
Pierre Jean Peybeyre (Pape de la truffe), Eric Vigean (Maître artisan huilier),
Léoville Barton (Saint-Julien),
Château Rouget (Pomerol) et Domaine Jacques Prieur (Bourgogne) par Denis Hervier
Accords vins, huiles et truffes, foie gras truffés et toasts truffés.
Saint-Julien, Léoville Barton, rouge 1998.
Pomerol, Château Rouget, rouge 2006.
Corton, Domaine Jacques Prieur, Bressandes, rouge 2006 et Puligny Montrachet, Les-combettes premier cru, blanc 2010.

17h00 à 17h45
Pierre Rigothier (Le Burgundy) et Château du Moulin-à-Vent (Beaujolais)
Le dos de chevreuil de chasse française, céleri, marmelade de myrtilles au café
Beaujolais, Château du Moulin-à-Vent, rouge 2010.

Ateliers Gourmets de Prestige

Vendredi 30 novembre 2012
16h00 à 16h45
Jérôme Banctel (Le Senderens) et Clos du Moulin aux Moines (Bourgogne)
Langoustines en impression de vanille et yuzu
Auxey-Duresses, Clos du Moulin aux Moines, blanc 2010.

17h00 à 17h45
Philippe Labbé (Le Shangri-La) et Château Sociando-Mallet (Haut-Médoc)
L'agneau biberon de l'Aveyron, épaule confite aux épices
Haut-Médoc, Sociando-Mallet, rouge 2001.
Ris de veau du Limousin doré croustillant, salsifis aux truffes
La Demoiselle de Sociando-Mallet, rouge 2009.

19h00 à 19h45
Philippe Mille (Les Crayères) et Château Phélan Ségur (Saint-Estéphe), Alexandre Penet (Champagne), Gonet Médeville (Champagne)
Foie Gras truffé et Carpaccio de Langoustines aux agrumes.
Saint-Estèphe, Château Phélan-Ségur, rouge 2005.
Champagne Alexandre Penet grande réserve grand cru non dosé.
Champagne Gonet-Médeville, Blanc de Noirs.

Samedi 1er décembre 2012
14h00 à 14h45
Virginie Basselot (Saint-James) et Château Brane-Cantenac (Margaux)
Quasi de veau, emmental et bacon, girolles sautées, jus à la sarriette.
Rouget barbet grillé, calamar, courgettes et chorizo.
Margaux, Baron de Brane, rouge 2006.
Margaux, Château Brane-Cantenac, rouge 2000.


Normalement, après deux jours de ce régime, vous sortez du Grand Tasting beaucoup plus savant qu’en entrant.

mardi 27 novembre 2012

La machine à vendanger a gagné


Ni vous, ni moi ne lisons les projets de loi de finances émis par les gouvernements de la France. Cher vous, j’ai le regret de vous annoncer que nous avons tort. Et qu’est-ce que nous avons raté comme petite scélératesse ?
Dans le projet de loi de finances pour 2013, le gouvernement Ayrault (non, ne riez pas) a décidé de supprimer une grande partie des allègements de charges patronales applicables pour les travailleurs occasionnels de l’agriculture.
En clair, ça va devenir encore plus cher d’engager des saisonniers pour la taille ou des vendangeurs ou tous ces petits métiers d’appoint, métiers manuels qui garantissent un certain niveau de qualité à la vigne, un peu plus de vie dans les campagnes.
Là, normalement, les machines à vendanger gagnent par KO debout avec les félicitations de l’arbitre.

Mais que va-t-il dire, ce Ayrault-là, à ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter, voire même de louer, les machines infernales ? À ceux dont les vignobles à forte pente excluent toute sorte de mécanisation, à peu près tout le Rhône nord ? Qui va expliquer aux gens qui trouvent le vin cher que ça ne va pas s’arranger en augmentant le coût du travail ? Et la perte sournoise de milliers d’emplois dans nos campagnes ? Au fait, c’est qui le Ministre de l’agriculture ? Y’a quelqu’un ? Allo ?

Cet automne, j’ai assisté à la fin des vendanges dans les Graves. Il y avait deux ou trois cents travailleurs occasionnels dont l’activité soulageait un moment les finances des services sociaux en charge de soulager la misère. Ils venaient du bourg le plus proche ou des banlieues de Bordeaux ou de plus loin, du Maroc ou d’Espagne, par exemple.
J’y ai vu une grosse vingtaine de jeunes Espagnols, garçons et filles, drôles et sympathiques, toniques et complètement marginaux, mais sans histoire. Ils vivent dans leurs camionnettes, se déplacent sans se faire remarquer, installent un campement sur les terres qui les accueillent le temps des vendanges. Quand c’est fini, ils repartent ailleurs faire les olives. Ils n’ont à peu près pas d’existence sociale, mais le droit de se déplacer en Europe. Ils n’ont pas de domiciles en Espagne, pas de protections sociales, ils sont transparents. Ce phénomène homeless existe à plus grande échelle en Angleterre.

La facilité d’emploi que le gouvernement souhaite abroger permettait à cette petite bande (et, forcément, à plein d’autres dans le même cas) de subvenir à peu près à ses besoins. Cette facilité était spécialement bien vue pour garantir un semblant de paix sociale. Je ne sais pas qui a promulgué ça, un salaud de droite sûrement, mais bravo. En plus, la démarche d’abrogation est stupide. Les finances de l’État n’y gagneront rien puisqu’il y aura de moins en moins d’emplois pourvus. Mais c’est une bonne occasion de ne surtout pas alléger le coût du travail. Ce gouvernement est cohérent, bien droit dans sa logique d’un bout à l’autre de l’échelle sociale. C’est beau comme un tremblement de terre, mais ça fera beaucoup plus de victimes.

Une pétition a été mise en ligne pour tenter de lutter contre ces errements idéologiques, elle se signe ici

lundi 26 novembre 2012

Vent de folie sur le Grand Tasting



Vendredi et samedi, ne m’invitez pas à dîner, j’ai Grand Tasting. Le plus grand événement Vin de France et de Navarre, c’est là, folie de n’y être pas. Cette année, 350 domaines, châteaux, maisons, présenteront en moyenne cinq vins chacun, soit environ 1750 vins à déguster. Plus tous ceux des MasterClass. À ceux qui goûteront tout, je dis bravo. Comme toujours, les choses se passent au Carrousel du Louvre, au centre de Paris. Au cœur, même.
Il y aura les stars et les découvertes. Il y aura à boire pour tous les goûts et pour tout le monde.
Le fin du fin, ce sont les MasterClass. Une verticale de Masseto, la cuvée extrême d’Ornellaia, il fallait être au Davos du vin pour y goûter. Ou au Grand Tasting, cette année. Quinze ans de Haut-Bailly en trois millésimes, c’est ici et nulle part ailleurs. La chance inouïe d’écouter Jacques Lardière pendant une heure pour la dernière fois de votre vie (après, il prend sa retraite). Les grands blancs de blancs de Taittinger ou Dom Ruinart ou Krug en quatre ou cinq millésimes chacun, où d’autre, franchement ?

Voici la liste des MasterClass où il reste encore quelques places.
Le vendredi, de 11 heures à 21 heures, par ordre d’apparition.
Chaque Master Class dure une heure.

Les Barolo Monprivato de Giuseppe Mascarello
Présenté par Mauro Mascarello, Propriétaire
Barbera d'Alba, Scudetto, Rouge 2007
Barolo, Monprivato, Rouge 2001
Barolo, Monprivato, Rouge 1996
Barolo, Monprivato, Rouge 1989
Barolo, Monprivato Ca’d’ Morissio, Rouge 2004
Barolo, Monprivato Ca’d’ Morissio, Rouge 2003

Laroche, regards sur les premiers crus de Chablis
Présenté par Grégory Viennois, Directeur Vigne et Vin
Chablis 1er Cru, Les Vaudevey, Blanc 2009
Chablis 1er Cru, Les Beauroys, Blanc 2009
Chablis 1er Cru, Les Montmains, Blanc 2009
Chablis 1er Cru, Les Fourchaumes, Blanc 2009

Louis Jadot: La Vérité la plus franche du Clos des Ursules
Présenté par Jacques Lardière
Appellation d'origine Beaune 1er Cru Vignes Franches protégée
Beaune 1er Cru, Clos des Ursules, Rouge 2000
Beaune 1er Cru, Clos des Ursules, Rouge 2001
Beaune 1er Cru, Clos des Ursules, Rouge 2002
Beaune 1er Cru, Clos des Ursules, Rouge 1985

Les rosés du Champagne Bollinger
Présenté par Mathieu Kauffmann
Bollinger, Rosé
Côte aux enfants, Rouge 2009
La Grande Année, Rosé 2002
La Grande Année, Rosé 2004
La Grande Année, Rosé 1995

Quintessence du chardonnay des Maisons et Domaines Henriot
Présenté par Laurent Fregnet, Didier Séguier, Philippe Prost, Frédéric Weber
Champagne Henriot, blanc de blancs
Chablis grand cru William Fèvre, Les Preuses, Blanc 2009
Côte de Beaune premier cru, Bouchard Père et Fils, Meursault Perrières, Blanc 2010
Côte de Beaune grand cru, Bouchard Père et Fils, Chevalier Montrachet, Blanc 2010

Quinze ans de Haut-Bailly
Présenté par Véronique Sanders
Pessac-Léognan, La Parde de Haut-Bailly, 2010
Pessac-Léognan, Château Haut-Bailly, 2010
Pessac-Léognan, Château Haut-Bailly, 2002
Pessac-Léognan, Château Haut-Bailly, 1998

Le carrousel des Primum Familiae Vini
Présenté par Frédéric Drouhin, Julien de Beaumarchais de Rothschild, Marc Hugel, Marc Perrin et François Perrin
Champagne Pol Roger, cuvée Churchill, blanc 2000
Joseph Drouhin, côte-de-beaune, clos-des-mouches, blanc 2008
Egon Muller, Mosel-Saar-Ruwer, riesling Scharzhofberger Kabinett, blanc 2010
Antinori, Solaia, rouge 2009
Bolgheri Sassicaia, rouge 2009
Conca de Barbera, Grans Muralles, rouge 2000
Ribera del Duero, Vega Sicilia Unico, rouge 2003
Mouton-Rothschild,p auillac, rouge 2004
Beaucastel, Châteauneuf-du-pape, Hommage à Jacques Perrin, rouge 2000
Alsace, gewurztraminer, vendanges tardives, blanc 2005
Graham's Magnum porto rouge 1994

Les grands crus classés de Saint-Émilion 2002, 10 ans après
Présenté par François Despagne, (Grand Corbin-Despagne)
Château Corbin 2002
Château Fonroque 2002
Château Grand Corbin-Despagne 2002
Château L'Arrosée 2002
Château La Clotte 2002

Mailly Grand Cru, vingt ans de blanc de noirs
Présenté par Hervé Dantan et Jean-François Préau
Champagne, blanc de noirs, grand cru, 4 ans de vieillissement
Champagne, blanc de noirs, grand cru, 9 ans de vieillissement
Champagne, blanc de noirs, grand cru, 15 ans de vieillissement
Champagne, blanc de noirs, grand cru, 23 ans de vieillissement

Le millésime 2010 de six grands grus classés
Présenté par Laurence Dufau (Cantemerle). Philibert Perrin (Carbonnieux), Charles Cruse (Grand Corbin, Haut-Corbin), Julia Sénéclauze (Marquis de Terme), Edouard Labruyère (Rouget)
Château Cantemerle, 2010
Château Carbonnieux, 2010
Château Grand-Corbin, 2010
Château Haut-Corbin, 2010
Château Marquis-de-Terme, 2010
Château Rouget, 2010

Le samedi, de 13 heures à 19 heures, par ordre d’apparition.

La "futurothèque" Taittinger, Comtes de Champagne blanc de blancs
Présenté par Pierre-Emmanuel Taittinger et Damien Le Sueur
Champagne, Comtes de Champagne blanc de blancs 2004
Champagne, Comtes de Champagne blanc de blancs 2005
Champagne, Comtes de Champagne blanc de blancs 2006
Champagne, Comtes de Champagne blanc de blancs 2007

Lafon-Rochet, un assemblage de terroirs
Présenté par Basile Tesseron Saint-Estèphe, Château Lafon-Rochet 2010
Saint-Estèphe, Château Lafon-Rochet 2005
Saint-Estèphe, Château Lafon-Rochet 200
Saint-Estèphe, Château Lafon-Rochet 1995

Masseto, le Vignoble est l'acteur clé
Présenté par Axel Heinz
IGT Toscana, rouge 2009
IGT Toscana, rouge 2007
IGT Toscana, rouge 2004
IGT Toscana, rouge 2002
IGT Toscana, rouge 2001

Et pour les MasterClass Prestige, inutile de rêver, c’est complet depuis la mise en ligne du programme sur le site Bettane+Desseauve.

À tous nos amis blogueurs
Un espace 2.0 est réservé aux blogueurs de la République (du vin). Demandez à l’accueil Presse, on vous conduira.

samedi 24 novembre 2012

Louis Jaboulet, mort d’un grand vigneron



Il a tourné le siècle fin juin et il s’est éteint cette semaine, Louis Jaboulet avait cent ans. Ce grand homme de Tain-L’Hermitage avait repris l’affaire famiilale, Paul Jaboulet Aîné, des mains de son père en 1940, démobilisé alors de son régiment de chasseurs alpins.
Il enchaînera les grands millésimes dont le très fameux 1961 de son la-chapelle, sorte de vin du siècle, mythe absolu pour nombre d’amateurs du monde entier, star des ventes aux enchères au même titre que les lafites ou les romanée-conti.
Il passe les commandes à son fils Gérard en 1977, ce qui permettra à celui-ci de signer d’entrée un somptueux millésime de la-chapelle, 1978. Gérard, hélas, disparaîtra bien trop tôt, à l’âge de 55 ans en 1997, laissant une succession mal organisée, trop d’héritiers aux volontés trop antagonistes, il faut se résoudre à vendre.
C’est la famille Frey qui reprend le flambeau en 2006, très soucieuse de rendre à cette maison le souffle qui était le sien au temps de Louis Jaboulet.

En savoir plus, ici

vendredi 23 novembre 2012

Les grands bordeaux pas (trop) chers



Comme ça marche très bien et que c’est un excellent moyen de faire comprendre aux amateurs pourquoi les grands bordeaux sont grands, l’opération Cartes sur table remet le couvert. Le principe est que toute la filière, du négociant au restaurateur, fait un bel effort sur ses marges et, bref, le vin arrive sur votre table (de resto) à un prix juste décent, presque abordable, mais pas bon marché. Oui, ami ricaneur, anonyme et un peu troll sur les bords, c’est aussi un excellent moyen de faire de la place dans les stocks.

Voici les vins : 

Beychevelle 2005 Saint-Julien 130,00 €
Brane-Cantenac 2004 Margaux 85,00 €
Climens 2000 (50 cl) Barsac 80,00 €
Ducru-Beaucaillou 1986 Saint-Julien 160,00 €
Figeac 2000 Saint-Émilion 160,00 €
Grand-Puy-Lacoste 2001 Pauillac 100,00 € 
Gazin 1995 Pomerol 105,00 €
Lafite-Rothschild 2001 Pauillac 520,00 €
Montrose 2002 Saint-Estèphe 115,00 €
Pichon-Longueville Baron 2004 Pauillac 120,00 €
Chevalier 2000 Pessac-Léognan Rouge 110,00 €
Chevalier 2005 Pessac-Léognan Blanc 110,00 €
Petrus 2002 Pomerol 500,00 €
Une seule bouteille de sauternes ou de barsac… Qui fait la sélection ? Je veux lui parler, y'a des trucs à revoir.

Et les restaurants qui jouent à ça : 

Jean-François Piège (La brasserie Thoumieux et le 1e étage)
Chef : Jean-François Piège Sommelière : Caroline Furstoss
79, rue Saint-Dominique - 75007 Paris +33 (0)1 47 05 79 79

Le Chiberta
Chef : Stéphane Laruelle Jean-Paul Montellier
3, rue Arsène Houssaye - 75008 Paris. +33 (0)1 53 53 42 00.

Le Mathi's Bar
François Moussié
3, rue de Ponthieu - 75008 Paris +33 (0)1 53 76 01 62.

Le Voltaire
Jacques et Antoine Picot
27, quai Voltaire - 75007 Paris. +33 (0)1 42 61 17 49.

Le 39V
Chef : Frédéric Vardon. Sommelière: Sabrina Gartmann
39, avenue George V - 75008 Paris +33 (0)1 56 62 39 05.

Restaurant Pierre Gagnaire
Chef : Pierre Gagnaire. Sommelier : Patrick Borras.
6, rue Balzac - 75008 Paris. +33 (0)1 58 36 12 50.

Le Jadis
Chef : Guillaume Delage. Sommelier : Romuald Hardy
208, rue de la Croix Nivert - 75015 Paris +33 (0)1 45 57 73 20  

L’Arpège
Chef : Alain Passard. Sommelier : Gaylord Robert
84, rue de Varenne - 75007 Paris +33 (0)1 47 05 09 06

Jamin
Chefs : Jean-Christophe Guiony, David Tomasini et Alain Pras
32, rue de Longchamp - 75116 Paris +33 (0)1 45 53 00 07

Trianon Palace
Chef : Simone Zanoni. Sommelier : Laurent Beaudoin
1, boulevard de la Reine - 78000 Versailles +33 (0)1 30 84 50 00

Restaurant Il Carpaccio au Royal Monceau
Chef : Roberto Rispoli. Sommelier : Manuel Peyrondet
37, avenue Hoche - 75008 Paris +33 (0)1 42 99 88 00

Le Bistrot de Paris
Chef : Christian René
33, rue de Lille - 75007 Paris +33 (0)1 42 61 16 83

Les Jalles
Chef : Julien Tongourian, Magalie Marian
14, rue des Capucines - 75002 Paris. +33 (0)1 42 61 66 71

Beaucoup
Julien Fouin
7, rue Froissard - 75003 Paris +33(0)1 42 77 38 47

Restaurant Shang Palace au Shangri-La Hotel
Chefs: Franck Xu et Philippe Labbé. Chef sommelier : Cédric Maupoint
10, avenue d'lena - 75116 Paris +33 (0)1 53 67 19 92


La bonne idée
Appelez maintenant le(s) restaurant(s) que vous préférez pour réserver la table et la bouteille.


Toscane, terre de rouges

Cette région déguisée en nombril du monde, réceptacle des fantasmes vacanciers les plus partagés, destination de nouveaux propriétaires terriens, est aussi une terre de rouges. De vins, mais pas seulement.

La grande allée à la Tenuta di Arceno


Un nuage de poussière entre les deux rangées de cyprès annonce l’auto. La Toscane connaît un début d’été chaud et sec, dans une nature splendide, fleurie, épanouie. Les températures élevées ne sont pas écrasantes, ce pays est fait pour ça, ce chaud. Longer la Méditerranée est une bonne façon d’aborder la Toscane. San Vincenzo, station balnéaire archétypale, est un bon tremplin pour découvrir le vignoble historique. Commencer par là. Se souvenir du fabuleux restaurant de Fulvio Pierangelini, la critique mondiale chantait sa gloire, François Simon a écrit un roma déjanté à sa gloire. Aujourd’hui fermé, ce Gambero Rosso est dans toutes les mémoires des gastronomes, Fulvio est parti se ressourcer, on le reverra un jour. Le bord de mer toscan est plat comme la main, il faut parcourir une dizaine de kilomètres avant d’atteindre enfin la carte postale tant attendue. Collines et cyprès, oliviers millénaires et vignes, bois et vergers. Maisons patriciennes ou cabanes centenaires, aucune importance, l’image est bien nette, on comprend tout et ce qu’on vient chercher est là. Que la campagne est belle. On y produit des vins rouges pour l’essentiel et aussi une coloration politique de la même eau. Communiste de longue date, mais d’un communisme à l’italienne. Il y est plus question d’une opposition à la toute-puissance de l’Église, de Rome, que de lutte des classes. Pourtant, cette inclination se sent partout, dans les villages, dans les bars, sur les affiches collées n’importe comment. Où il s’agit d’y échapper en visitant des vignobles tenus par des étrangers qui n’ont rien à faire de ces particularismes qui leur semblent antédiluviens. Ils ont bien raison.

La villa surplombe une vallée de vignes, c'est Montepeloso


Montepeloso, le Suisse 
Fabio Chiarelotto pilote son petit 4x4 sans beaucoup d’égards pour la suspension qui proteste en couinant, la poussière intense envahit l’habitacle surchauffé. Il est Suisse ou Italien, il ne sait plus très bien, « Suisse en Italie et Italien en Suisse, ce n’est pas pratique ». Il sourit, il s’en moque. Il n’est que sept heures du matin quand au détour d’un ultime lacet la route défoncée abdique devant une combe charmante. C’est la vallée heureuse. Sur les coteaux, deux ou trois terrasses se chargent d’affiner la perspective avec les cyprès en marqueurs des courbes de niveau, on voudrait un troupeau de moutons pour forcer le trait pastoral, ce n’est pas la saison. Ouvert sur le sud, l’endroit est d’une grâce qu’on voudrait divine. Elle est géographique et géologique. À l’œil nu, on comprend que ce relief caillouteux est fait pour ce qu’il porte et c’est là que Fabio a planté ses vignes de montepulciano, de sangiovese, de grenache qu’on appelle ici l’alicante. Il dit que c’est un assemblage de variétés qui ont toujours existé, mais « aujourd’hui, les gens d’ici trouvent ça exotique ». Et cette grosse maison là-haut sur la colline, avec sa terrasse qui domine ce paysage béni des dieux, c’est la sienne et elle voit loin, par delà les collines. Tout s’éclaire. Il est dans ce pays depuis douze ans, en rupture d’université, à la recherche d’un sens. Il l’a trouvé. Il a aussi trouvé, en la personne de Silvio Denz, un Suisse propriétaire de vignobles à Saint-Émilion (Château Faugères) et en Espagne et de la cristallerie Lalique, l’associé qui le comprend. Il sait la chance qu’il a, il est à fond dans le projet maintenant que Silvio lui a donné de l’ampleur et les moyens pour faire. Ses vins sont dans le coup. De l’étiquette au verre, ils sont exactement ce que l’amateur a envie de trouver. A Quo est une entrée de gamme flatteuse et fruitée, les notes épicées dénoncent l’influence du maquis, des cigales, des sangliers. Eneo est cet assemblage toscan pour lequel Fabio se bat. Un vin complexe au sens où les saveurs développées sont multiples. Il va tout droit vers une finale suave. C’est ce que cherche Fabio, il en est content, « On cherche une élégance et une droiture pour des vins méditerranéens, des vins de soleil d’ordinaire larges et un peu mous. » Nardo est le même assemblage en sélection de vieilles vignes, destiné à une longue garde. C’est vrai qu’il faudrait que, dans le verre, la garrigue se pousse un peu pour faire place aux raisins. Une longue garde. Il faut attendre. Le dernier, le plus cher, c’est Gabbro. Destiné aux marchés internationaux, c’est un pur cabernet-sauvignon comme la Toscane en produit beaucoup et qu’on appelle aussi des super-toscans.

Le vignoble de Caiarossa. Au fond, le chai


Caiarossa, le Hollandais 
Les vins de Caiarossa ont déjà une certaine notoriété. Dominique Génot, le Lorrain qui dirige la propriété, n’a que 32 ans, mais déjà une belle expérience. Il est ici le bras armé du propriétaire hollandais, Eric Albada-Jelgersma, qu’on connaît mieux pour son château du Tertre à Margaux. Il est aussi, ce Hollandais, le fermier du grand Giscours, à Margaux également. Toutes les propriétés sont sous la responsabilité d’un autre Hollandais, très connu à Bordeaux, Alexander van Beck. Mais ici Dominique ne voit pas souvent le propriétaire ou ses représentants. Peu importe, il a repris les rênes du domaine sans se poser autrement de questions et en respectant les fondamentaux installés par le précédent propriétaire à la vigne, en biodynamie comme au chai gravitaire construit selon les principes du feng-shui. Il voit grand, Dominique. Ses seize hectares de vignes seront bientôt 32, le temps que les vignes plantées ces derniers temps entrent en production. Pas moins de onze cépages pour trois vins, un blanc et deux rouges. Le grand vin est un assemblage en forme de catalogue de pépiniériste. Sangiovese, cabernet franc, merlot, cabernet-sauvignon, syrah, petit verdot, grenache, mourvèdre. Le fin dosage de chacun de ces cépages fait un vin très bon dont le succès grandissant explique les plantations récentes. Pour s’amuser et parce qu’il voue un culte appuyé aux vins d’Alsace, Dominique a créé un blanc passerillé en vendanges tardives, quelque chose qui rappelle le passito de Pantelleria, cher à Carole Bouquet. Cette très confidentielle production, 1 300 bouteilles, fait un tabac. Dominique est un garçon énergique. Il fallait ce profil pour faire face à certaines réalités du vignoble italien. Recadrer un consultant qui se prend pour un gourou vers plus de services et moins d’autorité. S’arranger de certaines pratiques un peu limite : « Ici, la certification en bio-dynamie est très laxiste. On ne montre que ce qu’on a envie de montrer. On te propose des services annexes et payants pour faciliter la certification. Mais il a suffi de refuser et tout est rentré dans l’ordre. Je ne devais pas être le seul à m’élever contre ces méthodes. » Avec 41 cuves pour 16 hectares, la sélection parcellaire n’est pas un vain mot à Caiarossa. L’intention est très fine, finesse aussi du côté de l’élevage où Dominique a choisi des barriques deux fois plus grosses que d’habitude pour ne pas boiser ses vins exagérément. Dans le même esprit d’excellence, ses patrons ne lui imposent aucune contrainte de volume. Il s’agit de faire le mieux possible selon les résultats du millésime. Et Dominique Génot fait très bien. Ce qui devrait lui valoir une carrière assez brillante dans des délais rapprochés. Il est sans doute encore trop jeune pour se satisfaire des seuls charmes de la Toscane. On sent qu’il rêve d’une ville avec des cinémas, des théâtres, des expos. Il l’aura.

Bettina Rogosky


Il Carnasciale, l’Allemande 
En arrivant chez Bettina Rogosky, une Allemande de Hambourg qui vit à Berlin et ici, on touche le ciel. On approche aussi d’un monde différent. Là, si près du soleil, des étoiles, les préoccupations du monde d’en bas n’ont plus cours. Au Podere Il Carnasciale, le plus malhabile des directeurs financiers partirait en courant. Une petite propriété acquise pour les vacances, un cépage unique au monde découvert par hasard, une première parcelle de 3 000 m2 plantée en gobelet, puis trois hectares dans des endroits à peu près impossibles, 3 000 magnums les bonnes années vendus à guichets fermés 250 euros pièce, très peu d’opportunités pour développer et des sangliers et des chevreuils qui s’appliquent à réduire autant qu’ils peuvent cette micro-production.

Podere Il Carnasciale, la vue depuis la maison


Pourtant, le monde est aux pieds du caberlot, c’est le nom du vin de Bettina. Les grands magazines de la planète Vin classent toujours ce vin rare parmi les meilleurs du monde. Moritz, le fils de Bettina, a lâché sa marque de prêt-à-porter pour venir faire quelque chose de significatif de ce vin unique. Avec Peter Schilling, le maître de chai, un Allemand lui aussi, ils préparent un nouveau chai qui libérera la cave de la maison de Bettina. Ils s’apprêtent à louer quelques arpents de bon terroir pour produire (un peu) plus. Ils sont lancés dans cette aventure avec une vraie gourmandise. Moritz : « Personne ne sait rien de ce cépage, nous n’avons qu’une vingtaine de vendanges d’expérience. Il Carnasciale n’est pas un vignoble, c’est un laboratoire de recherche. » L’éclat de rire qui ponctue la tirade annonce la dégustation du vin rare, barrique par barrique sur chacun des quatre petits terroirs en production. La première envoie des arômes de poivre blanc. La seconde aussi, mais moins. Là, le vin est opulent, manque un peu de nerf, « Il plaît aux femmes » affirme Peter avant d’ajouter « Ce n’est pas la bonne direction ». Les deux autres barriques, les deux autres parcelles, montrent un vin ample, aromatique, élégant, persistant, un vin vibrant, c’est lui, c’est le caberlot. Bettina numérote chaque magnum à la main. Chaque client est livré avec une forte recommandation de ne pas mettre ce vin aux enchères. Gare à celui dont les numéros de magnums se retrouvent sur eBay, il n’en aura plus.

L'une des maisons de l'immense Tenuta di Arceno
 


Tenuta di Arceno, l’Américain Changement radical de décor et d’ambiance. Une immense propriété de mille hectares répartis dans le doux vallonnement des collines qui se déploient sous le clocher du village très ancien de San Gusme. Nous ne sommes pas très loin de Sienne, une Toscane qui n’est pas celle de la Méditerranée. Si la campagne est douce, l’ambiance est plus austère ; la tension politique, plus palpable. Ce qui n’a pas empêché Jess Jackson, le grand homme des droits civiques en Californie aujourd’hui disparu, d’acquérir les terres de ce vaste domaine pour en faire un vignoble d’exception. Les terres seulement. Cette propriété étonnante compte une trentaine de maisons anciennes et un château qui ont été vendus à des particuliers. Chaque maison, au sommet d’une colline ou à flanc de coteau, dispose d’un jardin. Toutes les terres sont exploitées en vignes, en oliveraies, en forêts, en vergers, en céréales. Cet immense espace est parcouru d’allées de poussière blanche bordées de cyprès si hauts qu’on veut bien croire qu’ils ont été plantés il y a très longtemps. L’ensemble soigneusement entretenu dégage une atmosphère luxueuse. Avec la lumière particulière de la Toscane et une pointe de civilisation supplémentaire pour faire une différence, il y a une affinité visuelle entre les collines de la Sonoma en Californie, où le clan Jackson est l’un des propriétaires viticoles les plus importants, et ces paysages toscans. Pierre Seillan, le Français en charge des grands vins au sein des vignobles Jackson, a trouvé là une autre occasion de faire étalage de son talent et de ses marottes, « Le message du sol ». Le sol a quelque chose à dire et Pierre Seillan sait quoi. Pour lui, cette enclave inespérée dispose de terroirs de première qualité. Il parle volontiers de Saint-Émilion pour faire une comparaison. D’ailleurs, il a élu le cabernet franc cépage vedette de la Tenuta di Arceno. Et, fidèle à sa théorie des micro-crus, largement copiée ailleurs, il a déterminé 63 parcelles réparties sur dix zones distinctes pour 92 hectares plantés. Ici, comme au domaine Vérité ou au château Lassègue, Pierre Seillan donne libre cours à son idée du grand vin. Il a un chouchou parmi tous les vins qui participent au 450 000 bouteilles de la production de la Tenuta. C’est Arcanum I, un assemblage qui privilégie le cabernet franc, et pour lequel il nourrit les plus grands espoirs, mais sur 10 à 20 000 bouteilles selon les millésimes et pas plus. Il s’amuse d’avance des résultats qu’il attend, « Je suis ici pour faire de grands vins reconnus par les professionnels du monde entier ». Ici, tout a été replanté avec un matériel végétal adapté à la fois aux spécificités du terroir et aux exigences qualitatives de l’homme de l’art. Ici, comme dans ses autres vignobles, il a su s’entourer d’une équipe de premier plan venue des quatre coins du monde. Si le chef de culture est Italien, c’est un Américain qui est aux commandes du chai. Mais la langue véhiculaire est l’italien et chacun se plie de bonne grâce à cette particularité propre au vignoble. Où qu’il se trouve, on y parle la langue du pays.



Il y a des centaines de vignobles en Toscane. Dans certains endroits, on a traversé des crises, connu des tempêtes, mais le vignoble toscan est aussi ancien que les collines sur lesquelles il pousse. C’est un élément immuable de la culture italienne et, là, tout est fait pour en assurer la promotion. L’arrivée assez nouvelle d’étrangers aux commandes de domaines très qualitatifs est une bonne chose, qui pousse les Italiens à ne pas s’endormir entre cyprès et oliviers. Toute la Toscane, comme le Piémont, est engagée dans une course vers l’excellence. Et c’est toute l’Italie viticole qui gagne des parts de marchés de plus en plus curieux de diversité.

Un voyage dans le Piémont, ici

Les photos : reportage de Mathieu Garçon
Cet article a été publié sous une forme différente dans la livraison de novembre de Série limitée – Les Échos

mercredi 21 novembre 2012

Un petit salon de vins, c’est comment ?

Un salon de vins, l’idée n’est pas neuve. Depuis longtemps, toutes sortes de salons ont vu le jour avec des succès divers, mais un relatif engouement du public. Certains voient leur affluence croître au fil des années jusqu’à devenir une forte valeur d’exportation (Le Grand Tasting), d’autres s’essoufflent, la plupart arrivent à durer. Cet automne, un nouveau concept semble voir le jour. Le petit salon. Comprendre que peu d’exposants drainent un public restreint, ce qui confère à ces évènements un caractère confidentiel plutôt bien joué. Le public de ces mini-salons se recrute dans l’une ou l’autre des communautés du vin. On est entre soi, c’est l’idée et elle n’est pas mauvaise.

Le blogueur Fabrice Le Glatin s’est attaché à produire son propre événement :
« Vin sur Vin fait salon ». Vin sur Vin, c’est le nom de son blog (voir colonne de droite de cette page). Pendant deux jours, sur une péniche amarrée au Pont-Marie à Paris, il a réuni douze vignerons aux notoriétés différentes, tous sont des gens qu’il aime. Certains, comme Henri Milan ou Turner-Pageot, sont des vedettes confirmées. D’autres, de parfaits inconnus. Tous se rangent derrière l’étendard bio, quelques-uns travaillent leurs vins « nature », c’est-à-dire sans soufre ajouté à la mise en bouteille. Bonne occasion de découvrir des vins, de confirmer des réputations. Ou pas.


Ainsi des vins du domaine de L’Escarpolette que je ne connaissais pas, c’est très bon, même les cuvées « nature », enfin pas toutes, mais l’une d’entre elles était une merveille. Et les étiquettes sont très belles.


Son voisin de bordée, c’est le Clos Romain, même ambiance, même recherche, même implication, même discours ou à peu près. Et bons vins.


Plus loin, vers la poupe du navire placide, c’est le Château Noguès, un bordeaux supérieur qui change de ton, comme en témoignent les étiquettes, et les vins sont plutôt bien.
Au fond de la péniche, l’artiste Rémy Bousquet croque le salon en direct live. Parfois, au cours du week-end, le monde se presse. D’autres moments sont plus calmes. Tout le monde a l’air content d’être là. On sent bien qu’il y a quelque chose de familial dans ce rassemblement, ils sont là pour soutenir quelque chose, ils se sentent une mouvance, ils voudraient bien.

Dans moins de dix jours, changement radical d’ambiance, Le Grand Tasting ouvre ses portes à une grosse quinzaine de milliers de visiteurs accueillis par près de 400 vignerons. On change d’échelle de la façon la plus radicale. Là, la sélection se fait sur la qualité des vins vue par Michel Bettane et Thierry Desseauve. Il faut être dans le Guide pour avoir le droit d’exposer au Grand Tasting. Et pas le contraire. Et c’est le géant des salons. Il y a, bien sûr, de l’espace pour ces deux types de manifestations, gageons que le format
« petit salon » va faire des émules.

À propos de Rémy Bousquet et de Fabrice Le Glatin, sûrement des amis assez proches, voici l'affiche à laquelle vous avez échappé. Je l'ai trouvée sur le site Vindicateur qui publie une interview du blogueur événementiel.


mardi 20 novembre 2012

La loi Evin a un parrain (manquait plus que ça)



Il y a deux façons d’encadrer l’alcoolisme. La bonne ou la mauvaise. L’éducation vs. la répression. Poutine, président de toutes les Russies, a décidé de frapper d’interdiction la moindre mention du nom d’un produit contenant de l’alcool, sans distinguer le vin des alcools forts (pour les alcools forts, + 36 % de taxes supplémentaires, tiens, prends ça, ivrogne).
Comme en France, vous demandez-vous ? Oui.
Le modèle est reproductible et tant qu’à faire dans le front bas, notre loi Evin à nous est parfaite. La grosse voix et le flou. La grosse voix pour faire peur aux enfants et le flou pour ouvrir la porte à toutes les tartouilles possibles. En France, avec vingt ans d’expérience, on s’y connaît. On a vu la courbe de consommation du vin s’effondrer et celle des anxiolytiques monter en flèche. Celle de l’alcoolisme des jeunes aussi. Du coup, Poutine se dit qu’il a plus à gagner que de recevoir trois ou quatre caisses de grands crus, de loin en loin.
Et, justement, il va plus loin. Non seulement la pub est bannie, mais ce qu’on appelle l’éditorial aussi, même si c'est écrit par des journalistes. Presse et internet compris. Le blogueur russe du vin (y en a) fait la gueule. On lui fait la même réponse que celle que Hollande a faite à un blogueur (français) il y a quelques mois : « Faites des blogs de gastronomie ».



– Mais alors, si je m’appelle Taittinger ou Henriot ou Duvaux-Blochet ?
– En prison…
– Et si je m’appelle Smith et que j’ai rien à voir avec Haut-Lafitte ?
– Prouvez-le !

Bien sûr, les esprits éveillés sur cette terre russe crient au scandale avec le succès qu’on imagine. Un importateur russe, M. Pinski, dit ceci : « Il faut valoriser la culture du vin contre celle de la vodka et des bières à fort taux d’alcool. Il faut comprendre que le vin est un produit de gastronomie. Les gens qui mangent bien et boivent bien ne se saôulent pas. »
Le législateur n’entend pas ces arguments de bon sens, à Moscou comme à Paris, comme à Ryad, Téhéran ou Islamabad, toutes ces grandes capitales où on a éteint la lumière. La presse aussi tord le nez, pour des raisons différentes, 20 % de son chiffre d’affaires publicitaire venant des importateurs de vins et spiritueux étrangers.
On aura vite fait de brocarder le soupçonneux, mais comment ne pas se dire que les Russes vont découvrir les joies de la consommation des petites pilules du bonheur qui fait tant d’imbéciles et de bien pensants au bénéfice exclusif de quelques actionnaires et des pouvoirs qui leur servent la soupe ?

Pourtant, on voyait la Russie bien partie quand, il y a deux ou trois ans, les autorités en charge ont décidé de favoriser la plantation de vignes pour éradiquer les ravages alcooliques de la vodka. C’était Medvedev qui portait le projet. Sait pas compter celui-là.
Tout ceci fait un peu beaucoup penser à un nouveau tomber de rideau tricoté au point de croix chez Ordre & Discipline, non ? Je vais demander aux Pussy Riot ce qu’elles en pensent.


Les détails sur themoscowtimes.com (en anglais, pas en russe)

Les belles images viennent du site TumblR du blog A girl called Georges

samedi 17 novembre 2012

L’avantage de la Paulée de Bizeul

Dans le rafraîchissoir, des muscats de chez Bizeul assez extraordinaires,
mais pas dispo à la vente ou pas encore


Il y a un gros malentendu.
En tant qu’amateur, je suis confronté quotidiennement à de jeunes vins. Dans les restaurants, d’abord. Les restaurateurs, basiques comme ils sont, se jettent sur les millésimes médiatiques pour complaire à une clientèle de jobards que je n’inviterai pas à dîner chez moi. Au lieu de servir des millésimes souples et moins chers qui auraient autrement d’allure quand on les boit jeunes et qui, mais c’est pas sûr, allègeraient un peu la case « boissons » (ah, ah) des additions.
En tant que pro, puisqu’il est admis qu’on déguste les vins jeunes pour s’en faire l’écho au moment où ils sont commercialisés. Exercice avec lequel j’ai de plus en plus de mal, à mesure que ma toute petite expertise s’affirme. D’où le plaisir intense des belles verticales qui tapent dans l’historique, comme au Davos du vin, la semaine dernière à la Villa d’Este.
Je sors de la Paulée du Clos des fées au restaurant Macéo, à Paris.
Hervé Bizeul recevait ses clients pour leur faire déguster sa production. Les vins du jour, bien sûr, ainsi va le commerce, mais pas que. Il y avait aussi des millésimes plus anciens. On ne remonte pas au XIXe siècle, Hervé est un jeune homme et son domaine, une création récente. Mais enfin, il y avait le clos-des-fées 07, 06, 05 et 03 et la petite-sibérie 09 et 01.




D’abord, ce micro-événement a été un succès. Une gentille foule se pressait à la dégustation à l’étage avant de se retrouver au rez-de-chaussée pour s’asseoir autour de tables d’hôtes, tous ensemble dans un shuffle parfait, tout le monde parlait avec tout le monde, Hervé ravi, il a le goût du convivial. Au passage, j’ai fait l’emplette de quelques cols du « faune sous l’olivier joue du fifre en se grattant la tête » ou quelque chose comme ça, ce genre de nom très « sud ». Une absolue merveille de vin rouge que j’attendrai le temps qu’il faudra, une bouteille tous les deux ans pour estimer l’état de l’art.

La démonstration est là, une fois de plus. Un vin avec dix ans dans la bouteille, c’est mieux que le même au bout de deux, trois ans. Bizeul me disait que ses vins étaient considérés comme des vins à boire jeunes (parce que jeune domaine, jeune vigneron, appellation sans image, etc.) par le commerce, les restos, le public, ce qui le fatigue beaucoup, ce que je comprends. Un grand vin se reconnaît à son aptitude au vieillissement. Le Clos des fées produit de grands vins. Un clos-des-fées 03 est une belle démo de cette idée-là.
Arrêtons de boire les vins trop jeunes, ayons des caves, sachons oublier la caisse pendant cinq, sept, dix ans. Ici ou là, à la campagne chez des amis bienveillants, une grand-mère opportune ; dans un espace partagé et adéquat, il y en a plein Paris. Délectons-nous le moment venu des arômes et des saveurs entremêlés, ce qu’on appelle la complexité, dans la force de leur bel âge. Je ne vais pas pousser la comparaison, mais c’est évident. Et ne perdons pas de vue cette volupté de l’attente, même longue, même très longue, qui produit des plaisirs d’un raffinement intense.
Si, j’te jure.
Cessons de piaffer et prenons tout notre temps. C’est une des qualités de la civilisation dans laquelle nous avons la chance de propulser nos exigences.

Aujourd'hui, j'ai culture

Fabrice le Glatin, prof d'anglais, blogueur et inventeur des cours de dégustation finement nommés TupperWine, a décidé de tenir salon. Un salon d'amateurs avertis avec une douzaine d'alter-vignerons qui lui ressemblent, rebelles de toutes natures (c'est le cas de le dire). Mais pas seulement. Je n'en connais que trois (Milan, Le Conte des Floris, Château Bas). J'enfile donc ma tenue de dompteur de lions et je pars en exploration avec ma lampe frontale.
Je vous raconterai.
L'affaire se passe aujourd'hui et dimanche, de 10 à 18 h sur une péniche, face au 40 quai de l'Hôtel-de-Ville, Paris IVe. On y accède par une rampe qui part du Pont-Marie, rive droite, on y entre contre un petit 5 euros.
Ci-dessous, l'affiche.


vendredi 16 novembre 2012

La tentation de Givry


Là où d’autres préfèrent les plaisirs émollients d’un mas provençal, ils ont choisi un cellier cistercien perché sur le talus de Givry. Les enjeux ne sont pas les mêmes.

Philippe Pascal dans ses caves cisterciennes

Avoir été un prosélyte du luxe et se retrouver sur les traces des moines cisterciens de l’abbaye de La Ferté, sur le talus de Givry. Avoir fréquenté les palaces les plus vibrants du monde et s’installer sur l’austère côte chalonnaise. En choisissant le Clos du Cellier aux Moines, une petite ferme du XIIe siècle, Philippe Pascal et sa femme cherchent-t-il à exorciser quelque chose ? Ou, plus prosaïquement, à expier une vie dorée sur tranche ? Personne n’en saura jamais rien. Pour se faire une idée, il faut se pencher sur ce qui a été réalisé, être attentif aux  projets. Depuis quelques semaines, l’ex-patron de Moët-Hennessy, puis de l’horlogerie-joaillerie du groupe LVMH, est un homme libéré de ses obligations professionnelles. Ce qui ne signifie pas affranchi du travail. Il a pris une tangente industrieuse à défaut d’être industrielle. Quand il se penche, c’est que la terre est basse et que l’homme est grand. Philippe Pascal a posé ses costumes et enfilé ses bottes de caoutchouc, il est vigneron, néo-vigneron en fait. L’affaire était préparée depuis un moment. Nous sommes en 2004 quand il jette son dévolu sur un tout petit vignoble à Givry, une vingtaine de kilomètres de Beaune. Il lui faudra deux ans pour récupérer les vignes louées, une bataille en forme de douche froide qui n’a démobilisé personne. Sa femme et lui, qui s’étaient rencontré en Bourgogne, à Dijon, pendant leurs études, se l’étaient toujours promis, ils l’ont tenu. La carrière fulgurante, le succès, les avaient provisoirement éloignés de ce rêve de jeunes gens. Mais les rêves vous envahissent, quand ils survivent à la nuit. 
Ora et labora, prie et travaille. Travailler, Philippe Pascal l’a toujours fait, mais il priait sans doute peu. La devise cistercienne, aujourd’hui, il l’a faite sienne. Il convient de prier le ciel qu’il soit clément. Et, qu’il le soit ou pas, la terre attend le travail. Après les courbes des graphiques des ventes, après les spasmes du CAC 40, il découvre les affres de la vie agricole rythmée sans espoir de mieux par les humeurs de la météo. Le choc fût sans doute un peu raide, mais il ne l’avoue pas. Il préfère parler d’autre chose, de ses pratiques viticoles. « Mon chemin à parcourir, c’est mon vignoble de Givry, c’est réussir à en extraire le mieux. Nous avons entrepris de gros travaux dans les vignes. Bien sûr, nous réfléchissons à une conversion en agriculture biologique, mais 2012 n’est pas une année encourageante. » C’est bien le moins que l’on puisse en dire. Cette météo désastreuse pour le mental des citadins est bien pire pour celui des viticulteurs. La succession de chaud et d’humide depuis plusieurs mois a favorisé partout l’éclosion de maladies, le mildiou en tête. Pour survivre en bio, il faut avoir préparé le terrain de longue date et que la vigne ait peu à peu appris à se défendre toute seule. Ce n’est pas encore le cas au Clos du Cellier aux Moines. Sur les coteaux, les habitudes culturales commencent à peine à prendre le pouls des contingences environnementales, de l’envie de propre qui saisit des populations entières. Celles qui consomment les meilleurs vins, en particulier. L’Amérique du Nord, la Scandinavie, l’Allemagne sont au premier rang de cette demande. Ici, on commence par le commencement, l’enherbement maîtrisé, une mécanisation légère pour ne pas tasser les sols, plus d’herbicides, ni d’insecticides. Quand certains, issus de dynasties vigneronnes, traînent des pieds, le néo-vigneron a déjà compris. Il reste à mettre en œuvre. Le néo-vigneron sait que la voie est tracée, il la suivra. 

Dans les quelques hectares qui entourent la maison, les nouveaux repères de Philippe Pascal s’appellent la cadolle (petite cabane de vigneron), le calvaire, la pointe ou le haut. Sans se le dire, lui et sa femme ont assimilé ce bornage imaginaire pour en faire un langage commun. Ils se fixent le défi de faire bien. Vendanger tard est un exemple : « Le plus tard possible. Attendre encore et encore. Ajouter un jour, puis un autre. Nous n’en dormons pas. Je relis les mémoires de Duvaux-Blochet, l’aïeul d’Aubert de Villaine, pour me convaincre que j’ai raison. » Dans un éclat de rire, le grand jeune homme à la retraite, mais jamais avare d'un mot fin, ajoute : «pour atteindre la maturité, c’est la meilleure lecture qui se puisse trouver».
On sent poindre une sorte d’anxiété sous la belle humeur obligatoire. Il confirme : « on tatônne, dans la passion et l’incertitude. On traverse des petites tempêtes d’inquiétude, de grands moments d’humilité. On apprend en faisant, mais c’est trop tard, j’ai 58 ans, je ne saurai jamais tout. » Il ne faut pas le pousser beaucoup pour arriver au cœur de l’histoire. « Nous sommes cisterciens aujourd’hui. On ne peut pas habiter ce lieu en faisant abstraction de l’héritage qu’il contient. Nous nous imposons un devoir de mémoire. Nous travaillons avec un historien et nous sommes en train de composer un livre sur le Clos. Nous avons également rencontré un dendrochronologue. La dendrochronologie est une méthode scientifique permettant de dater des pièces de bois  à l’année près en comptant les anneaux de croissance des arbres. En appliquant cette méthode à la poutraison de la maison, on a une idée très précise du temps passé. Je veux reconstituer l’histoire des lieux que nous occupons. » Et Catherine de préciser : « Ce qui nous fait plaisir, c’est le sentiment d’avoir rendu à la vie un endroit important qui disparaissait doucement. Nous ne sommes pas n’importe où. Le caractère historique nous donne une responsabilité supplémentaire.»  

Dans le même temps, ce qu’ils savent de la gestion d’une entreprise pose le problème de l’agrandissement du vignoble, mais sans acuité, disent-ils. Il y a quelques semaines, ils ont eu l’opportunité d’acquérir trois parcelles de vignes dans la Côte de Beaune. De toutes petites parcelles de 2 500 m2 chacune. Une à Puligny-Montrachet dans le clos des Pucelles. Une autre à Chassagne-Montrachet, dans les Chaumées. Et la dernière à Santenay, la parcelle du Beauregard. Ils présentent cette acquisition comme une démarche destinée à compléter leur gamme avec des blancs de belle origine. On peut l’entendre. On peut aussi se demander si c’est bien vrai, cette gentille histoire de marketing. Et si, à la fin, Philippe et Catherine Pascal n’ont pas tout simplement attrapé le virus, s’ils ne sont pas déjà complètement piqués par leur passion, plongés, engloutis même, dans le grand tonneau du mondovino. Non, non, disent-ils en chœur et en regardant ailleurs. Vite, vite, Catherine parle d’autre chose, des plaisirs de la vie calme après les trépidations d’une vie mondialisée. S’émerveille de cette nouvelle vie qui s’installe, so exciting. Compte sur ses doigts les trois semaines sur quatre qu’ils passent ici depuis que Philippe a rendu les clés de son bureau à LVMH. Fait semblant de s’inquiéter: « tout ceci est encore très nouveau ». Bien sûr, bien sûr. Elle n’ose plus parler de vin, même pas dire que le sien est bon. Et pourtant, il est très bon, déjà il récolte bonnes notes et commentaires élogieux. 


La photo : Philippe Pascal photographié par Armand Borlant

jeudi 15 novembre 2012

Jacques Lardière, le chaman de la côte


Ce soir, la maison Louis Jadot reçoit pour honorer Jacques Lardière. Il prend sa retraite après quarante années passées là. Je suis invité, je n’y serai pas. Overdose de boulot. C’est peu dire que je regrette. J’ai trop les boules, oui, comme dirait la stagiaire qui s'y connaît en états d'âme. 
J’ai rencontré Jacques Lardière au début de l’automne et j’ai rédigé le texte ci-dessous, publié dans le numéro de novembre de Série limitée, le beau supplément mensuel du quotidien Les Échos. Ceux qui le liront jusqu’au bout comprendront qu’il est assez difficile de n’être pas à Beaune, ce soir, en train d’applaudir debout le discours sublime que Lardière ne manquera pas de prononcer, l’émotion à son comble. Snif.

Jacques Lardière


Il avance, courbé en deux. La tête auréolée de blanc évite tous les pièges de ces basses voûtes du XIe siècle. Dans la faible lumière, on distingue à peine les milliers de bouteilles couchées, on ne déchiffre pas les hiéroglyphes des petites ardoises qui indiquent le millésime et la provenance. Bizarrement, ce ne sont pas des codes secrets.
Jacques Lardière connaît par cœur chacun des flacons qui attendent leur heure dans les caves de la maison Louis Jadot, dans les entrailles de Beaune. Certains de ces vins sont là depuis bien plus longtemps que lui. Pourtant, à l’heure de tourner une page, voilà quarante ans qui s’inscrivent dans son sillage. Depuis 1970, il est l’homme des vins du grand négociant bourguignon et, à ce titre, la trace qu’il laisse est considérable.
Rewind.
Lardière a vingt ans quand… « C’était pratique la hiérarchie des grands crus, je croyais qu’il y avait un processus de réalisation différent et je m’apercevais que non. Il y avait quelque chose à comprendre. » Voilà à quoi tient une vocation. Mais bien sûr, on reconnaît un grand homme à la façon qu’il a de mettre ses pas avec humilité dans ceux du grand homme qui le précède un moment. « J’ai fait nombre de dégustations avec Jules Chauvet pour voir de combien de mots nous disposions pour décrire une sensation. J’ai commencé à parler d’ouverture spectrale. Je m’intéressais à la physique quantique, à Rudolf Steiner, le père de la biodynamie. J’ai cherché à structurer ce que je ressentais et ce que je pensais. J’ai compris qu’entre deux vins, on est identique et que, peu à peu, on passe d’un champ d’éventualités à un chant vibratoire, les molécules du vin s’expriment. On croit que c’est de l’ivresse alcoolique, mais pas du tout. C’est très différent. » Au-delà de ces paroles d’espoir se dessine quelque chose qui ressemble à une vision. Jacques Lardière n’est pas n’importe quel maître de chai. Du vin, de son élaboration, il a une très haute idée, l’impression de toucher le ciel biblique, un accès VIP aux grandes interrogations de la vie. Quel homme. Du coup, on ne parle pas beaucoup des méthodes, des pratiques. Mais quand même, un petit peu. Importante maison de négoce, passée en quarante ans de 3 500 hectolitres embouteillés à 75 000, Louis Jadot dispose d’un domaine en propre et achète des raisins qui sont vinifiés par la maison. Comprendre que Jacques Lardière n’a pas la main sur tous les paramètres. Il ne le regrette pas, ou alors ça ne se voit pas. « Un lieu, ça se vit », dit-il. « La présence du vigneron compte plus que tout et moi, je ne peux pas faire le travail à leur place. Pour autant, voyez-vous, la biodynamie fermentaire nettoie tellement de choses… Je ne suis pas démuni. » On respire de soulagement. D’autant qu’il déclare élaborer tous ses vins de la même façon. « Le même process aide à comprendre les différences. On goûte un “village” à la même température qu’un “grand cru”, non ? » Si, bien sûr.
Aujourd’hui sonne l’heure de sortir de scène, de laisser son immense bureau à un successeur. D’autres ne le supporteraient pas, lui parle des huîtres de Bouzigues sur le port de Sète, des nécessaires rattrapages qu’une vie de passion a accumulés, tous ces oublis volontaires justifiés par l’intérêt supérieur, le Grand Vin, ces majuscules qui obligent. Ce successeur, au fait ? Il existe, il s’appelle Frédéric Barnier et il est là depuis trois ans. Seulement ? On peut parler le Jacques-Lardière en trois ans seulement ? « Ce n’est pas ce que je lui demande, il apportera sa manière. L’important est que nous soyons d’accord sur les fondamentaux. Ce n’était pas la première idée, les actionnaires américains préférant qu’un Lardière me succède. Une Lardière, en l’espèce. Ma fille Juliette. C’est Pierre-Henri (Gagey, le président de la maison Jadot, NDLR) qui avait inventé ça secrètement, je ne me serais pas permis. J’en ai été très ému. Elle a beaucoup réfléchi, beaucoup travaillé et, finalement, a refusé. Que vouliez-vous que je fasse ? J’ai regretté, voilà tout, et j’ai engagé Frédéric. J’avais l’œil sur lui depuis longtemps. » Et tout le monde est content.

Notre homme ne s’écarte jamais beaucoup de ce qui le passionne, exprimer sa vérité du vin. Morceaux choisis.
« Il faut comprendre que nous faisons des vins dotés d’un futur. »
« La mise en bouteille, ce passage d’une violence inouïe, c’est la symbolique du vin. Il faut une petite mort pour toucher l’éternité. »
« On s’en fout du pinot. Ce qui nous intéresse, c’est ce qu’il y a en dessous. Ce qui est dessous doit passer dessus. »
« Rien au monde ne possède un tel spectre que le vin. »
« Je n’aime pas le mot terroir, sorte de fourre-tout approximatif qui intègre le lieu, la pluie, l’homme, les sangliers. La Bourgogne, c’est le terroir, mais nos climats, c’est autre chose. Bien plus précis. »
« On a compris si peu, il y a tant de mystères dans la fermentation, dans l’élevage, dans la conservation. »
« Le vin nous dit d’avoir confiance en nous. Il nous apprend la vie, si on veut bien l’écouter. »
« Il y a tant de choses que le scientifique n’explique pas encore, tant de choses troublantes. Laissons-nous troubler. »
Sur les modes qui traversent le monde du vin, il a également une opinion épatante et radicalement en travers de l’avis général : « Ce n’est pas le vin fruité qui risque de faire progresser l’homme. Je veux des vins qui nous fassent grandir, qui apaisent nos cellules, qui nous rendent plus intelligents et plus sensibles. Mais on oublie tout ça à cause de cette idée qu’il faut faire simple. Pour un public d’idiots ? Moi, je remarque que quand on fait goûter des choses un peu plus compliquées, les gens adorent. Alors quoi ? »
Jacques Lardière pourrait continuer des heures, littéralement possédé qu’il est par un discours d’une fine intelligence et par un désir fou de partager tout. Il faudrait mille pages et une infinie concentration pour en rendre compte. Il faudrait un livre, Jacques. 


La photo : est signée Mathieu Garçon, bien sûr.

mercredi 14 novembre 2012

Caroline et la colline



 Pour se raconter la colline de l’Hermitage, son grand vin la-chapelle et la maison Paul Jaboulet Aîné, rendez-vous est pris au Château La Lagune, grand cru classé médocain et belle chartreuse admirablement restaurée. Ainsi va la vie de Caroline Frey, partagée entre le Rhône et le grand estuaire de la Gironde. Elle parcourt la distance en voiture avec une toute petite fille, la sienne, sanglée dans son siège sur la banquette arrière. Élise a 18 mois.
 Après des études singulièrement brillantes, Caroline est passée par l’Institut œnologique de Bordeaux sous la houlette du professeur Denis Dubourdieu, également connu pour être un fameux vigneron et un grand consultant. Yquem et Cheval Blanc, c’est lui. Paul Jaboulet Aîné et La Lagune, c’est lui aussi. Avant de prendre les rênes de cette propriété bordelaise acquise par son père en 2000, Caroline avait passé deux ans en stage dans les vignes de Dubourdieu, à Reynon, au Clos Floridène et à Doisy-Daëne. Les aventures de Caroline Frey dans les vignes ont pu commencer, premier millésime 2004. « La Lagune a été le tremplin de mon histoire avec Jaboulet », dit-elle. L’année d’après, elle signe un magnifique 2005 qui tire des oh et des ah d’admiration à tout le monde et même un « wow » à Robert Parker, qui ne sera pas oublié de longtemps. Caroline Frey est lancée avec un beau crédit d’estime.

 On la retrouve à 650 kilomètres de là, les pieds dans l’eau du grand fleuve, adossée à la colline de l’Hermitage, dès le petit millésime 2006. Son père vient d’acquérir la belle maison Paul Jaboulet Aîné. Belle dans les souvenirs, belle par son catalogue de terroirs exceptionnels et ses étiquettes de légende, mais saisie d’un gros engourdissement depuis la mort de Gérard Jaboulet dix ans plus tôt. Dès qu’elle investit les lieux avec son équipe de Bordelais, des décisions sont prises. Parmi lesquelles, au-delà de l’inévitable restructuration qui fit très peu de vagues, la mise à l’évier de plus d’un million et demi d’euros de vins pour non conformité avec le niveau d’exigence des nouveaux propriétaires et la réalisation d’un nouveau chai, propre enfin. Six ans après, le moins qu’on puisse en dire est que Caroline Frey a pris toute la mesure de la maison et des défis qu’elle impose. « En arrivant, cette histoire de négoce me faisait peur. Je m’y suis collée, j’ai compris et voilà. J’ai installé un nouveau mot pour les vins de négoce. Maintenant, nous disons “vins d’élevage”. Et je m’occupe de tout ici, commerce compris. Depuis peu, j’ai cessé de courir le monde. À la place, nous faisons venir le monde à nous. C’est un peu plus coûteux, mais je ne peux pas tout faire. » Un brand ambassador ferait très bien l’affaire, non ? « Euh, un directeur commercial polyglotte, plutôt. »
 Parmi les innovations apportées par la famille Frey, il y a cette volonté de distribuer ses vins, les bordeaux comme les rhônes, chez les cavistes à l’exclusion de tout autre circuit. On ne trouve pas de La Lagune, ni de Jaboulet dans les hypermarchés. Donc, on ne les trouve pas non plus dans les foires aux vins. « Nous soutenons nos cavistes en organisant nous-mêmes, et au même moment, des foires aux vins chez eux. Nous l’avons fait dans le Rhône, avec le soutien de la presse locale, et tout s’est très bien passé. Les cavistes sont capables de répliquer à la grande distribution. » Une stratégie alternative à laquelle la Place de Bordeaux a du se plier, bon gré, mal gré.

 Peu à peu, Caroline a organisé sa vie, trois semaines dans le Rhône, une à Bordeaux. Elle s’est prise à aimer cette vie rhodanienne et si, à La Lagune, elle occupe une chambre d’amis, à Tain-L’Hermitage, elle vit chez elle, dans son appartement de Valence. Pour rire, et pour faire référence à ses incessants allers et retours, elle dit habiter « sur le 45e parallèle ». Une passion qui la pousse à explorer encore les ressources des lieux. Ainsi a-t-elle remis en activité une parcelle abandonnée à Condrieu. « Livrée à la forêt, nous l’avons redressée. Denis Dubourdieu nous prenait pour des fous, mais dans le Rhône, les belles parcelles sont à forte pente. À Bordeaux, ils n’imaginent pas ça du tout. » Il faut comprendre ce qui exerce une telle attraction. Dans le catalogue des belles choses de la maison Jaboulet, il y a une pépite très exclusive. De celles qui font mourir de jalousie certains de ses voisins. C’est le très fameux la-chapelle, un vin mythique dont les grands millésimes, 1991, 1978 et, surtout, 1961, attirent les plus fortunés des amateurs dans des ventes aux enchères d’anthologie qui voient les prix d’adjudication s’envoler vers des sommets qu’on croyaient réservés à lafite, à la romanée-conti.




 Cette chapelle existe, plantée au sommet de la colline de l’Hermitage, et retraite d’un fameux ermite, le chevalier de Sterimberg. De la-chapelle, Caroline dit :  
« Cette cuvée a reçu vingt ou vingt-deux fois la note suprême en cinquante ans. Ce n’est pas une garantie pour la commercialisation, ça ne suffit pas. Il y faut une valeur affective de plus. La-chapelle a cette chance. Les vraies choses, on ne les construit pas. » Pour ce vin, 15 à 20 000 cols par an, les plus grandes attentions sont requises. La contrefaçon est une préoccupation : « Des gens nous demandent régulièrement de reconditionner des faux. Dans ce cas, les bouteilles sont détruites immédiatement. » La construction d’un nouveau chai au pied de la colline, avec un caveau des vieux millésimes et une maison d’invités est un projet qui avance. Cette année, la-chapelle 1961, mythe absolu et champion du monde des ventes aux enchères, a cinquante ans. Caroline, 34. L’histoire commence à peine.



Les photos : sont signées Mathieu Garçon. Ça se voit.

Ce sujet a été publié sous une forme différente dans le numéro de novembre de Série limitée, supplément mensuel du quotidien économique Les Échos.
Pour bien comprendre les enjeux majeurs de cette colline de l'Hermitage,
on peut lire ça et ça.