Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mercredi 3 décembre 2014

Jay McInerney en taille sommelier

Chroniqueur de la rubrique vins du Wall Street Journal et du magazine House & Garden, le célèbre écrivain new-yorkais s’est vu proposer par le grand restaurant Taillevent de choisir les cinq vins d’un menu d’exception qui est soumis à la clientèle sur réservation. Je l’ai rencontré et nous avons passé une heure ensemble à bavarder.


Jay McInerney dans un bar (à vins)


Quel chemin a conduit le jeune Américain que vous étiez à apprécier le vin ?
Nous avons aux États-Unis un système d’apprentissage destiné aux jeunes écrivains qui m’a permis de travailler auprès de mon auteur de prédilection, Raymond Carver. J’étudiais avec lui à l’université de Syracuse et je travaillais à temps partiel chez un caviste. C’est à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser au vin. Je rapportais des bouteilles le soir et je les goûtais. Finalement, je pense que c’est l’écriture qui m’a mené au vin. Mes parents, eux, ne buvaient pas de vin et c’est sans doute ce qui m’a poussé à aimer cette image d’homme sophistiqué que j’avais en tant qu’amateur de vin. D’ailleurs, la plupart des auteurs que j’admire ont écrit sur le vin. Hemingway avait pour habitude de présenter ses personnages un verre à la main.  

Vous aussi, vous avez écrit sur le vin.
Mon premier roman a été publié en 1984. J’ai donc commencé à gagner de l’argent au moment même où l’on nous révélait le millésime 1982 à Bordeaux. Cela m’a permis d’acheter du bon vin, notamment ce grand millésime que je continue de boire. Ensuite, j’ai publié trois ou quatre autres romans et, en 1996, une de mes amies a été embauchée par le magazine Condé Nast Traveler. Elle s’intéressait au vin et commençait à voir émerger une culture autour des belles bouteilles et des bonnes tables, notamment dans le milieu des adeptes de l’art. La gastronomie et le vin devenaient synonymes de l’art de bien vivre pour la nouvelle génération américaine. En tant qu’amatrice, elle trouvait que la plupart des écrits publiés sur ce sujet étaient trop techniques et profondément ennuyeux. Pas vraiment de quoi aider un consommateur lambda cherchant à comprendre l’univers du vin. Bien sûr, vous aviez Robert Parker qui notait et commentait des vins, mais ses écrits ne permettaient pas à un jeune amateur d’en savoir plus. Elle m’a proposé d’écrire pour son magazine. Je lui ai dit que mes connaissances étaient encore limitées, mais elle m’a répondu que mon enthousiasme et mon talent d’écrivain suffiraient. Je me suis donc mis à écrire sur le vin et j’ai apprécié de le faire, un peu comme un hobby. C’est en voyageant et en rencontrant les viticulteurs que je me suis rendu compte de la chance que j’avais.  

Quelle région du monde vous a le plus marqué ?
La France aura toujours ma préférence, elle réunit les vignobles les plus importants du monde, la Champagne, le Bordelais, la Loire, la Bourgogne, d‘autres. Elle a une longue tradition, avec une grande expérience en termes de production, compréhension du terroir, culture du vin. En Espagne et en Italie, ils ont aussi cette longue tradition, mais le vin est plus une boisson issue du monde paysan contrairement à une tradition française du vin portée par le clergé et l’aristocratie. La culture et l’histoire combinées au terroir font indéniablement de la France le pays du bon vin. Peut-être que dans deux siècles, la Napa Valley ou la Sonoma seront des régions aussi intéressantes. J’aime découvrir les terroirs d’Espagne, ou d’ailleurs, mais je finis toujours par revenir en France.  

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce monde du vin ?
Comparé au monde de la littérature, très compétitif et mesquin, il est bien plus sympathique et accueillant. Dans ce milieu, c’est le bien-vivre qui prime, bien manger, bien boire, voyager. C’est une communauté ouverte et généreuse. En Europe, il y a cette tradition familiale, cette filiation, qui est fascinante pour nous Américains, coupés que nous sommes de ce rapport à la terre. Quand un Américain a réussi professionnellement et qu’il décide un jour de tout laisser tomber pour faire du vin, on est bien loin des traditions héritées. Aux États-Unis, la culture du vin est très différente.  

Et ce qui vous énerve ?
Cela me désole de voir que certains vins sont inaccessibles à la plupart des amateurs, qui ne pourront jamais goûter un verre de château-lafite ou de romanée-conti. Ces vins sont revendus comme des œuvres d’art et je ne crois pas que ce soit la meilleure chose à faire. Aussi vrai qu’il y a un petit groupe de très riches qui continue d’accumuler les richesses du monde, il y a un groupe de vins devenus tellement chers qu’on ne peut ni les boire ni les apprécier. Je trouve ça malheureux. De même, je n’aime pas beaucoup les viticulteurs qui font des vins destinés à satisfaire les critiques. Aux États-Unis, certains vignerons font appel à des consultants dont la mission est de les aider à produire ce type de vins. Je ne les ai jamais trouvés intéressants, même ceux qui décrochaient un 100 sur 100 dans le WineSpectator.  

Quel vin fût pour vous la plus belle expérience ? 
J’ai beaucoup de bons souvenirs. La première fois que j’ai bu du vin à un rendez-vous amoureux, c’était un rosé portugais. Je me suis vraiment senti au paradis, en compagnie de cette belle fille, buvant ce bon vin servi par un serveur qui vous ouvre la bouteille. Un très beau moment. La pire ? Un vin qui m’a été servi dans un aéroport, au lounge d’American Airlines. Un shiraz pinotage tellement mauvais que je n’ai pas pu finir mon verre.  

Comment avez-vous choisi les vins du menu* proposé au restaurant Taillevent cet automne, « Les cinq de Jay McInerney » ? 
Quand on a commencé à parler de ce projet, je savais que la politique de Taillevent autour du vin était vraiment ouverte. Il s’agissait donc de choisir des vins dans leur cave et je dois dire qu’il n’a pas été facile de n’en sélectionner que cinq. Le condrieu est un vin blanc que j’affectionne particulièrement. C’est sûrement pour son côté inhabituel, presque exotique, que je l’ai choisi, car on ne peut pas dire qu’il ait les qualités d’un grand vin blanc, en terme d’acidité par exemple. Il m’évoque la pêche blanche, je le trouve intéressant, même s’il ne se marie pas avec tout.

À propos de mariage, vous aimez le sauternes avec le poulet ?
Je ne savais pas à l’avance ce que ferait le chef, mais je crois que cela aurait été une erreur de le proposer au dessert. J’ai été agréablement surpris de voir qu’il avait conçu un accord plutôt inhabituel. Pour ce qui est du haut-brion, je l’ai toujours apprécié pour son côté très fumé et racé que j’ai pu expérimenter dans des dégustations à l’aveugle. Thomas Jefferson en était d’ailleurs le premier fan et je pense que ma fascination pour le haut-brion a beaucoup à voir avec ça.  

Votre prochain livre sera-t-il sur le vin ?
Non, mon prochain livre est un roman que j’ai terminé il y deux semaines. J’aime le vin, mais mon métier c’est écrivain.


Il s’agit donc d’un partenariat entre un auteur américain à la mode et un grand restaurant parisien. L’Américain a choisi les vins et Alain Solivérès, le chef de Taillevent, les a appariés avec des plats de haute volée. Ci-dessous, les détails de ce menu que chacun peut commander en réservant une table chez Taillevent, cet automne. 
• La Combe de Malleval, condrieu 2010, Domaine Stéphane Ogier avec des noix de coquilles saint-jacques, huîtres et cresson au vin de Condrieu. 
• Château de Fargues, sauternes 1997, avec une poule faisane en feuilleté aux saveurs automnales.
• Gevrey-chambertin 2002, Domaine Denis Mortet, avec un perdreau pattes grises et sa rôtie, polenta aux olives taggiasche.
• Château-haut-brion, pessac-léognan
1988, avec du chevreuil, noisettes et châtaigne, sauce grand-veneur.
• Champagne rosé, Domaine Jacques Selosse, sur un nougat rafraîchi, éclats de framboise. 


On lira avec profit son recueil de chroniques intitulé Bacchus et moi, un ouvrage finement traduit de l'américain par Sophie Brissaud.




Photo David Howell. 
Cette interview a été pubiée sous une forme différente dans Mes Dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.

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